Société

Nostalgiques des années  2000 ? Déjà ?

Au début des années 2000, il y avait Britney Spears, le rouge à lèvres brillant, les couleurs vives, le crop top. C’était aussi l’époque des CD, des DVD et de La fureur. Sommes-nous déjà nostalgiques de cette époque où l’on vivait sans réseaux sociaux ?

Catherine Forget, 29 ans, et Frédérique Paré, 28 ans, ont fondé en 2019 Québec Nostalgie, un compte Instagram qui regroupe plus de 80 000 abonnés. Elles sont nostalgiques des années 2000, des CD, des DVD, de l’émission Dans une galaxie près de chez vous, et du plus grand laisser-aller créatif qui caractérisait cette époque.

« On a créé cette page pour se souvenir du bon vieux temps et ça fait du bien ! La nostalgie est un sentiment réconfortant qui nous unit. Ça fait réaliser qu’on a tous vécu des choses ensemble, on a porté des jeans taille basse, on a regardé Ramdam. Cela crée des discussions positives dans une ambiance bienveillante. Je pense qu’on avait besoin de ça », explique Catherine Forget.

Pour Emmanuelle Fantin, professeure et chercheuse à Sorbonne Université, il y a quelque chose de réconfortant dans la nostalgie. « Des études démontrent que regarder une émission de télévision liée à l’enfance, ça agit comme un calmant, ça nous fait du bien », dit-elle.

Frédérique Paré regrette le côté éclaté des années 2000. « On essayait plein de choses, dans tous les univers. Britney Spears et Christina Aguilera ont marqué l’époque pop bonbon, les allures étaient colorées, les accessoires qui se superposent, les bracelets en plastique... alors qu’aujourd’hui, on s’habille tous pareil », observe-t-elle.

Madeleine Goubau, chargée de cours à l’École supérieure de mode de l’ESG UQAM, reconnaît que les années 2000 ont été marquées par le strass, les paillettes et le glamour. « Il y avait ce côté festif et exubérant. Les jeunes n’ont pas connu cette époque, mais ils s’approprient la mode de ces années-là qui leur paraissent si lointaines ! Il y a un côté vintage à porter des crop tops, des pantalons taille basse avec le string qui dépasse ! On voit même réapparaître les colliers en petites billes de plastique », observe-t-elle.

« On n’a pas besoin d’avoir vécu une époque pour en être nostalgique, puisque la nostalgie est un processus d’idéalisation du passé », souligne Emmanuelle Fantin.

« Ce qu’on regrette quand on est nostalgique, ce n’est pas simplement le passé, c’est tout un imaginaire de la distance, la distance de chez soi, de l’enfance, c’est matérialisé par quelque chose qu’on ne peut plus retrouver : le passé. »

— Emmanuelle Fantin, professeure et chercheuse à Sorbonne Université

Regretter un passé pas si lointain

Et pourquoi être nostalgique d’une époque qui, au fond, n’est pas si loin de nous ?

« Il y a eu une grande cassure technologique entre les années 2000 et aujourd’hui. Les changements ont été nombreux, les CD et DVD ont disparu, il y a eu la naissance des réseaux sociaux. On est vraiment ailleurs, on consomme différemment la télé, le cinéma, la musique. C’était la dernière décennie avant l’ère numérique. Alors on a la sensation que les années 2000 sont plus lointaines, même si ça ne fait que 20 ans », estime Catherine Forget.

« Ce qui est nouveau, c’est que le numérique a mis un grand coup d’accélérateur sur les phénomènes de la nostalgie, et il est donc normal qu’on soit nostalgique de périodes plus rapprochées. Il y a une accélération sociale du temps vécu, une accélération technologique et de condensation du temps, ce qui fait qu’on peut être nostalgique d’une période de plus en plus récente », observe Emmanuelle Fantin.

Selon Katharina Niemeyer, professeure à l’École des médias de l’UQAM et coautrice de Nostalgies contemporaines (avec Emmanuelle Fantin), la nostalgie est cyclique, mais il y a un avant et un après 2.0, ce qui signifie l’arrivée de la nouvelle génération des technologies, une période charnière qui a tout changé.

« Tout allait moins vite dans les années 2000. Aujourd’hui, on veut faire plus de choses en moins de temps, vivre des expériences toujours plus intenses. Avant les réseaux sociaux, on n’était pas dans cette dynamique et on ne partageait pas tout ce qu’on était en train de faire. »

— Katharina Niemeyer, professeure à l’École des médias de l’UQAM

« Il y a maintenant une surabondance d’informations, estime la professeure. Beaucoup de jeunes qui sont nés avec l’internet sont nostalgiques de l’époque où ça n’existait pas, ce qu’ils n’ont pas vécu. Cette nostalgie est authentique quand on voit par exemple le succès de la série Stranger Things. »

Catherine Forget et Frédérique Paré continuent d’alimenter avec passion leur compte Instagram Québec Nostalgie. « Cette nostalgie donne lieu à des réflexions sur le passé, on se demande si c’était mieux avant. Est-ce qu’on a évolué ? On mesure socialement où on en est... En tout cas, on a compris le pouvoir de la nostalgie. »

Idéaliser le passé

Emmanuelle Fantin met toutefois en garde les jeunes qui disent que la vie était tellement mieux avant. « C’est choisir une lecture du passé qui ne rend pas compte des inconvénients de cette même époque. C’est comme si on mettait le passé dans une passoire pour retenir uniquement le meilleur, c’est le fantasme du passé », dit-elle.

Elle observe aussi que le climat social composé d’incertitude politique encourage la nostalgie. « Le monde se durcit. Plus la société est en crise, plus il y a de nostalgie. En ce moment, entre la guerre en Ukraine, la pandémie et les problèmes climatiques, qui font trembler la société, on se réfugie dans la nostalgie. » La professeure pense que la nostalgie est un nouvel art de vivre, et que cette tendance va s’accentuer, car il y aura aussi un avant et un après par rapport à la pandémie.

« La nostalgie nous permet aussi de surmonter la crise. Ce n’est pas juste un refuge, ça peut être aussi très créatif. Il y a cette inquiétude qu’on a face à l’avenir, il y a des gens plus nostalgiques que d’autres, plus mélancoliques. Ça fait partie de la vie, c’est normal de l’être », croit la professeure Katharina Niemeyer.

D’où vient la nostalgie ?

« À l’origine, la nostalgie était considérée comme une maladie. Au XVIIe siècle, un médecin suisse, Johannes Hofer, avait observé que lorsque les soldats suisses partaient loin de leur contrée, ils développaient des symptômes comme la dépression, l’anorexie, et il les a attribués au fait qu’ils étaient éloignés de leur pays natal. Il a appelé cette maladie nostalgia ; en grec, nostos, c’est le retour chez soi, et algia, la douleur, le fait d’être malade quand on est éloigné de chez soi, de son pays natal », explique Emmanuelle Fantin, maîtresse de conférences à Sorbonne Université. « La nostalgie existait avant, mais le mot comme tel n’existait pas. Au tournant du XXe siècle, petit à petit, la nostalgie a perdu cet ancrage géographique, le fait d’être éloigné de son pays natal, pour venir désigner un mal-être lié à la perte d’un passé qui ne reviendra plus. Ce n’est plus une maladie, mais un sentiment qu’on peut tous éprouver. »

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