Qatar 2022

Les limites du rôle politique du sport ?

La Coupe du monde de football commence le 20 novembre prochain au Qatar. Loin de l’effervescence qui accompagne habituellement l’un des évènements sportifs les plus suivis de la planète, ce sont des critiques acerbes qui se succèdent et qui remettent en question la tenue même de la compétition. Pourquoi le petit émirat du Golfe, un des pays les plus riches du monde, est-il ainsi montré du doigt ?

Droits de la personne, corruption et climat

L’opposition à la tenue de la Coupe du monde au Qatar tient en quatre points. En premier lieu, le traitement inhumain des travailleurs qui ont bâti les stades. Plusieurs ONG internationales, dont Human Rights Watch, ont tiré la sonnette d’alarme. Selon le journal britannique The Guardian, 6500 travailleurs auraient perdu la vie durant la construction des stades où vont se dérouler les compétitions.

En second lieu, la question de la liberté d’expression. Le Qatar se place, selon le World Press Freedom Index, au 119e rang (sur 180) en matière de liberté de la presse.

Pour ne rien arranger, le gouvernement qatari a promulgué, en 2014, une loi sur les cybercrimes, prévoyant des peines de prison pour les personnes propageant de « fausses nouvelles » ou de la calomnie à l’encontre du pays et de son régime.

Troisièmement, selon l’émission française Complément d’enquête, l’attribution de l’évènement par la FIFA (la Fédération internationale de football association) aurait été entachée de corruption, notamment au bénéfice de certains dirigeants français.

Le dernier champ de critiques, mais non le moindre, évoque le fait d’organiser une compétition de football dans un pays où les températures obligent les compétitions à se tenir dans des stades climatisés. Une hérésie environnementale ! En 2015, cinq ans après l’attribution de l’évènement au régime de Doha, la question du climat avait déjà forcé le déplacement des matchs de juin à novembre et décembre, au prix d’un réaménagement sans précédent des calendriers des compétitions nationales et internationales.

Des critiques occidentales

S’appuyant sur certains de ces arguments, voire tous, l’opposition à la Coupe du monde qatarie, qui se résumait en 2010 à quelques commentaires négatifs, a enflé ces dernières semaines pour prendre la forme d’appels au boycottage ou de déclarations de total désintérêt pour l’évènement. Face aux contestations, l’émirat du Golfe crie au Qatar bashing. Plusieurs de ces critiques ciblent des éléments connus avant l’attribution de la Coupe du monde, tels que les lois du travail au Qatar et les enjeux relatifs à la liberté de la presse dans le pays. Quant à l’évocation du climat et du coût environnemental de l’évènement, ce ne sont évidemment pas non plus des surprises.

Le ministre des Affaires étrangères de l’émirat gazier a d’ailleurs rétorqué que plusieurs stades européens étaient bien chauffés en hiver, sans que cela soulève d’indignation.

Fait intéressant : les critiques se révèlent essentiellement occidentales, et proviennent surtout de France, d’Allemagne, du Danemark ou du Royaume-Uni, voire de l’Australie. Les ambassadeurs qataris de la Coupe du monde, répondant aux indignations, soulignent que le reste du monde semble se préparer à l’évènement sans arrière-pensée, et c’est effectivement le cas de l’Argentine, du Brésil, du Japon ou de la Corée du Sud.

Les limites du sport comme arme politique

2022 est une année particulière en matière de sport et de politique. Outre les appels au boycottage lors des Jeux de Pékin, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a entraîné une réaction inédite de la part du monde du sport. Les équipes russes et biélorusses ont été exclues de la plupart des compétitions internationales, cette éviction ayant même touché les joueurs de tennis de ces mêmes pays lors du tournoi de Wimbledon. Même si la condamnation de la Russie n’était pas universelle, cette sanction sportive a été presque unanime.

Le sport allait-il devenir une arme politique permettant de faire pression sur certains pays et les empêcher de participer ou d’organiser des compétitions internationales pour non-respect des droits de la personne et de certaines valeurs de développement durable ? Si la ministre allemande de l’Intérieur, Nancy Faeser, a officiellement exprimé une telle intention en octobre dernier, on en est encore très loin, bien au contraire. Même si les voix qui s’élèvent contre la Coupe du monde sont nombreuses en Occident et qu’elles disposent de solides arguments, une partie importante de la planète reste totalement insensible à leurs appels.

L’année 2022, bien que riche en controverses politico-sportives, aura peut-être souligné les limites de l’utilisation du sport comme arme politique et mis fin à l’espoir d’un consensus autour de certaines valeurs pour l’organisation des grands évènements. La fin des controverses autour des manifestations sportives n’est pas pour demain : la prochaine Coupe du monde de football, qui se tiendra au Canada, aux États-Unis et au Mexique en 2026 et qui obligera les sportifs à couvrir d’immenses distances va, sans le moindre doute, recevoir elle aussi son lot de virulentes critiques.

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