Se chamailler devant une tombe

Comment devrait-on souligner la première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation et commémorer la mort de Joyce Echaquan ? En faisant le contraire de ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale cette semaine.

Les députés ont guerroyé au sujet d’une expression, le « racisme systémique ». Les Premières Nations devenaient des balles de ping-pong dans une sorte d’avant-match de la prochaine campagne électorale. Dans la longue liste des débats politiques médiocres, celui-là mérite un prix spécial.

François Legault aurait pu s’élever au-dessus de la mêlée pour dialoguer de nation à nations. Il aurait pu parler de logement, d’accès aux soins de santé, d’éducation, de sécurité alimentaire, de profilage ethnique, de protection de la jeunesse. Mais il a surtout passé son temps à se quereller avec les libéraux et les solidaires.

Le premier ministre n’aime pas l’expression « racisme systémique ». En 2018, il en avait fait une arme électorale contre Philippe Couillard. Pour ne pas se contredire, il refuse aujourd’hui d’adopter le principe de Joyce, qui utilise cette expression. Et il bloque ainsi un geste de réconciliation important pour les Atikamekw et le veuf de Mme Echaquan.

Pourquoi ne pas jeter un peu de lest ? Il pourrait rappeler que les Premières Nations forment un cas à part.

La Cour suprême a déjà reconnu le « génocide culturel » à leur endroit. À côté de cela, le « racisme systémique » ressemble presque à un euphémisme.

Québec craint que d’autres groupes minoritaires invoquent le concept. Mais la pente n’a pas besoin d’être glissante. On y actionne les freins où on veut. Par exemple, le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, utilise d’abord ce terme pour les Premières Nations, qui forment selon lui un cas à part.

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Selon le cliché, si on ne nomme pas bien un problème, on ne peut pas le régler.

En fait, il y a une décennie, le terme « racisme systémique » était rarement utilisé en français au Québec. Cela n’empêchait pourtant pas les Premières Nations de dénoncer les incidents racistes et les injustices en matière de logement, de santé ou de justice.

M. Legault n’est pas le seul à avoir des réserves. Des sociologues jugent le concept trop imprécis. Ils craignent que son utilisation ne devienne abusive. Certains préfèrent parler de « racisme institutionnel », de « racisme d’État » ou de « discrimination systémique et de racisme ».

Voilà de quoi occuper les universitaires pendant des heures et des heures…

Reste qu’un fait demeure : les Premières Nations tiennent maintenant à ce terme, et cela s’inscrit pour elles dans le processus de réconciliation.

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C’est une chose que M. Legault n’aime pas l’expression. Le malaise, c’est sa façon de se justifier. Il a qualifié Québec solidaire de « radical » pour sa question, qui relayait une demande du veuf de Mme Echaquan.

Il refuse aussi le concept parce qu’il ne fait pas consensus chez ses électeurs. Les injustices subies deviennent ainsi moins importantes que le ressenti de ceux qui les regardent à la télé.

Enfin, il caricature la notion d’effet « systémique ». Il n’y a pas de « système raciste » au Québec, dit-il. Selon cette logique, sous prétexte de dire que les Québécois ne sont pas un peuple sexiste, on n’aura jamais visé l’équité salariale ! En effet, le terme « discrimination systémique » est au cœur de la Loi sur l’équité salariale adoptée en 1996, une valeur québécoise…

Il existe dans le droit depuis les années 1980, sans que cela ait déstabilisé le Québec.

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Les solidaires et les libéraux nourrissent eux aussi ce blocage. Ils critiquent souvent le premier ministre sur son choix de mots au lieu de se concentrer sur les solutions. Et le député libéral Gregory Kelley n’a pas impressionné cet été en faisant un lien tordu entre Mme Echaquan et le projet de loi 96 sur le français... Peut-être parce qu’elles ne sont pas si simples. M. Legault n’a pas tort : la priorité, c’est d’agir. Son gouvernement a déposé un plan d’action qui reconnaît que le problème va au-delà des individus, et concerne également les institutions.

Le refus du gouvernement caquiste d’utiliser le terme « systémique » ne l’empêche donc pas d’avancer. Et pourtant, il bouge peu.

Comme le rapporte ma collègue Fanny Lévesque (voir écran 2), pour la majorité des 142 « appels à l’action » de la commission Viens, aucun travail n’a encore été fait. Pire, les ministères de la Santé et de la Sécurité publique refusent de dire ce qu’ils font.

Je rappelle le nom de la journée célébrée aujourd’hui : vérité et réconciliation.

Pour se réconcilier, il faut de l’écoute, de l’humilité et de la volonté.

Et pour commémorer la mort de Mme Echaquan, il y a mieux à faire que de se chamailler devant sa tombe.

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