L’influence des lobbys religieux au Canada

Les récentes décisions de la Cour suprême des États-Unis, fortement aiguillonnées par les lobbys religieux, invitent à une réflexion sur l’influence de ces groupes au Canada.

Voici quelques exemples de politiques canadiennes qui semblent être le fruit de lobbys religieux. Il importe de les connaître et de se questionner sur leurs impacts possibles sur la démocratie et la neutralité religieuse de l’État.

L’exception religieuse concernant la propagande haineuse

Le gouvernement libéral de Paul Martin a amendé, en 2004, le Code criminel concernant la propagande haineuse pour offrir une protection au discours religieux portant préjudice à un groupe identifiable, lorsque prononcé de bonne foi⁠1. Cette initiative, qui en a heurté plusieurs, n’avait jamais été discutée en campagne électorale, ce qui laisse supposer qu’elle est le fruit du lobby religieux.

Depuis, les discours haineux se multiplient sur les médias sociaux, y compris ceux basés sur des textes religieux.

Les prêches de l’imam canadien Younus Kathrada condamnant l’homosexualité, les juifs, les athées ou autres, largement diffusés sur les médias sociaux, en sont des exemples éloquents⁠2.

Or, aucun des projets de loi du gouvernement canadien visant à contrer le fléau de la propagande haineuse ne propose l’abrogation de cette exception religieuse. Les lobbys confessionnels semblent très actifs pour protéger cet acquis. A contrario, ces lobbys condamnent la critique légitime des religions, considérée par certains comme un discours haineux. Ils sont ainsi libres, au Canada, de proférer des propos haineux contre des groupes identifiables, mais ils aimeraient aussi interdire toutes critiques de leurs dogmes.

Il faudra suivre attentivement les initiatives du gouvernement fédéral pour lutter contre la haine en ligne, afin de s’assurer qu’elles n’aient pas d’impact négatif sur la liberté d’expression et la critique légitime des religions, abhorrée par certains lobbys religieux.

Exception religieuse pour le passeport vaccinal

Aucun droit n’est absolu. C’est l’équilibre entre les droits et libertés individuels et l’intérêt collectif qui permet de vivre en société. D’ailleurs, nos chartes reconnaissent que les droits individuels peuvent être restreints « dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ».

Or, pendant la pandémie COVID-19, certains groupes religieux ont convaincu des décideurs de la « suprématie » de la liberté religieuse pour se soustraire aux mesures sanitaires visant la protection du bien-être général des citoyens, dans une situation d’urgence sanitaire exceptionnelle. C’est ainsi que le gouvernement fédéral et plusieurs provinces (dont l’Ontario et l’Alberta) ont accordé une exception religieuse pour l’obligation de vaccination, en dépit des impératifs pour protéger la santé publique.

La prière à la Chambre des communes

Contrairement aux conseils municipaux, les assemblées législatives et le Parlement ne sont pas tenus de se soumettre aux décisions de la Cour suprême. Ainsi, le Parlement d’Ottawa utilise son privilège parlementaire pour éviter de se soumettre à la décision de la Cour suprême de 2015 concernant l’interdiction de la récitation de la prière par les représentants de l’État. C’est un peu comme si le Parlement utilisait une clause dérogatoire pour maintenir la prière à la Chambre des communes, en dépit du principe de neutralité de l’État et du respect de la liberté de conscience des députés. Il est fort probable que cette décision, contraire aux principes de la Charte, soit motivée par l’influence de lobbys religieux.

Le droit à l’avortement

Il s’agit d’un des sujets qui font consensus au sein de la population canadienne, mais qui heurtent les lobbys religieux. Ces derniers agissent inlassablement auprès des différents partis pour contrer l’assentiment général⁠3.

Par exemple, après avoir donné l’assurance qu’il ne remettrait pas en question le droit à l’avortement lors de sa campagne électorale, le chef du Parti conservateur Stephen Harper, alors majoritaire, avait voté en faveur du projet de loi privé C-484, qui aurait grandement limité l’accès à l’avortement en reconnaissant les fœtus comme des victimes à part entière d’actes criminels. Ce projet de loi, fortement appuyé par les lobbys religieux, est fort heureusement mort au feuilleton à la dissolution du Parlement en septembre 2008. C’est à se demander si certains députés agissent comme des représentants de leurs commettants ou comme des représentants soumis à des groupes religieux qui veulent imposer leurs valeurs. Après le succès obtenu par les lobbys religieux aux États-Unis, la vigilance est de mise ici aussi au Canada.

Ces quatre exemples démontrent l’impact que peut avoir le lobby religieux sur les politiques canadiennes. Aux États-Unis, c’est à travers la nomination des juges que le lobby religieux a réussi à invalider des lois votées démocratiquement. Au Canada, c’est le gouvernement fédéral qui nomme les juges de la Cour suprême et des cours supérieures des provinces et territoires. Il s’agit d’un pouvoir énorme sachant que ces juges, non élus, sont appelés à trancher de grandes questions sociales, économiques ou politiques associées. Le processus canadien de nomination des juges n’est pas infaillible, il est important de veiller à son intégrité, pour le respect des décisions citoyennes.

1. Consultez l’article du Code criminel

2. Regardez un prêche de l’imam canadien Younus Kathrada (en anglais)

3. Lisez « Le Parti conservateur du Canada et la droite chrétienne »

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