Chronique

Les soins à domicile ne sont pas une panacée

On entend souvent, voire très souvent, dire que les soins à domicile sont LA solution aux problèmes de santé qui touchent les personnes âgées. Qu’au lieu de les envoyer en CHSLD, on aurait tout intérêt à les soigner dans leur maison, comme dans les pays scandinaves.

Eh bien, une étude fouillée, signée par des économistes et par le grand défenseur des soins à domicile, Réjean Hébert, conclut que les soins à domicile ne sont pas une panacée. De fait, cette idée ne procurerait pas d’économies substantielles pour les cas lourds, essentiellement ceux qu’on traite dans les CHSLD.

Des économies pourraient néanmoins être réalisées avec des soins à domicile pour des cas moins graves de perte d’autonomie.

Cinq chercheurs signent cette étude de 54 pages, dont l’économiste Pierre-Carl Michaud, de HEC Montréal, et Réjean Hébert, de l’École de santé publique de l’Université de Montréal. L’étude s’intitule Le financement du soutien à l’autonomie des personnes âgées à la croisée des chemins.

Les chercheurs ont fait leurs projections en se basant sur l’échelle de profil Iso-SMAF. Ce système de mesure de l’autonomie fonctionnelle des personnes âgées dresse 14 profils, les profils 1, 2 et 3 étant essentiellement autonomes, tandis que les profils au-delà de 11 sont jugés lourds (alitement, atteinte mentale grave, etc.). En CHSLD, plus des deux tiers des résidants sont atteints de démence ou d’une forme d’alzheimer.

Pour vérifier l’intérêt financier des soins à domicile, les chercheurs ont appliqué le nombre d’heures de soins infirmiers et d’assistance requis pour chaque profil Iso-SMAF. Par exemple, un profil 5 nécessite quelque 650 heures de soins annuels, contre 2100 heures pour les profils 11 et plus.

Ils ont ensuite estimé le coût horaire de ces services et l’ont comparé aux coûts des places en CHSLD et dans les ressources intermédiaires telles que financées par le gouvernement du Québec.

Ainsi, une place dans un CHSLD existant coûte 102 000 $, alors que ce serait autour de 115 000 $ pour des soins à domicile comparables. Pour un CHSLD neuf, le coût serait un peu plus élevé que celui estimé pour des soins à domicile, mais à peine (119 000 $, contre 115 000 $).

« Nous n’obtenons pas, avec nos analyses, les économies qu’on fait généralement miroiter avec les soins à domicile pour les personnes en CHSLD. »

— Pierre-Carl Michaud, économiste à HEC Montréal

De fait, regrouper des personnes en grave perte d’autonomie dans un seul établissement finit par procurer des économies d’échelle pour les services, ce qu’on n’obtient pas quand les services sont offerts maison par maison.

En revanche, la comparaison des soins à domicile devient avantageuse pour certains cas moins lourds, ceux dont l’Iso-SMAF varie entre 5 et 8 inclusivement. Dans ce cas, les coûts des soins qui devraient être prescrits à domicile varient de 40 000 $ à 62 000 $ par année, coûts moindres qu’une place en ressources intermédiaires (67 000 $). Au-delà du niveau 8 de l’échelle Iso-SMAF, les soins à domicile deviennent plus coûteux que dans une ressource intermédiaire.

Bref, il y a des économies, mais pas de panacée. « On s’attendait à des économies plus importantes en commençant l’étude, mais c’est plus nuancé », a dit M. Michaud.

Les cas lourds exploseront

Évidemment, d’autres critères que les coûts entrent en ligne de compte dans ce genre de décision, comme la qualité des soins, la dignité des personnes âgées, etc. Et au bout du compte, la population québécoise est libre de choisir ce qu’elle est disposée à payer pour ces services ou, autrement dit, combien d’impôts elle veut que le gouvernement y consacre, compte tenu des autres services à financer (éducation, santé, Réseau express métropolitain, routes, etc.).

Il faut toutefois savoir que cette liberté de choisir sera mise à rude épreuve d’ici 20 ans, puisque le vieillissement de la population fera doubler les cas lourds et tripler les dépenses affectées aux personnes âgées qui nécessitent des soins, selon l’étude.

Selon les simulations pointues des chercheurs, le nombre de cas lourds (11 et plus sur l’échelle Iso-SMAF) doublera d’ici 20 ans, passant de 31 000 à quelque 68 000, une courbe qui ressemble au nombre de résidants qu’on prévoit en CHSLD (de 39 000 aujourd’hui à 81 000 en 2040).

Aujourd’hui, le budget des services de soutien à la perte d’autonomie avoisine les 6,2 milliards de dollars, l’équivalent de 725 $ par habitant (bébés compris). Ce budget passera à 18,1 milliards en 2040, selon les chercheurs. Ramené en dollars comparables de 2020, le budget de 2040 équivaut au double du budget actuel.

Cette forte progression de la facture nous obligera à faire des choix difficiles. D’autant que cette progression, faut-il le savoir, est basée sur les soins à domicile réellement dispensés actuellement, et non sur ceux qui devraient idéalement l’être compte tenu des soins attendus par profil Iso-SMAF.

Autrement dit, bien des personnes âgées reçoivent moins que l’idéal, étant soignées par des proches, entre autres. S’il fallait prodiguer à tous cet idéal, la facture dépasserait de beaucoup les 18,2 milliards prévus pour 2040.

Autre élément non négligeable : les nouveaux CHSLD des calculs des chercheurs ne se comparent en rien aux Maisons des aînés du gouvernement de la Coalition avenir Québec, bien plus coûteuses.

Des choix difficiles à venir, que je vous dis.

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