Annulons Noël

Ça se présente mal. Le gouvernement se donne jusqu’au 11 décembre pour annoncer s’il permettra les rassemblements à Noël. Les hôpitaux commencent à crouler sous la pression. Les cas augmentent. Les morts aussi. Épuisés, les travailleurs de la santé tombent comme des mouches.

« On ne va pas dans la bonne direction », a reconnu mardi François Legault. L’air de préparer le terrain. Comme s’il s’était déjà résigné à ce que sa prochaine annonce soit celle de l’annulation pure et simple des fêtes de Noël.

Mais a-t-on vraiment besoin d’attendre qu’il nous le dise pour faire une croix sur ces festivités ?

Faut-il absolument que papa Legault nous interdise de nous réunir autour de la dinde aux atocas pour se rendre compte que ce n’est pas l’idée du siècle ?

Le contrat moral, ce n’est pas seulement avec le gouvernement, mais avec nous-mêmes qu’il faut le négocier. Avec notre propre conscience. Est-on prêt à courir le risque de contaminer nos proches ?

« Il vaut mieux avoir un Noël moche que de courir le risque de donner le virus en cadeau et de teinter à jamais Noël du souvenir d’une contamination mortelle », souligne le DQuoc Dinh Nguyen, gériatre spécialisé en épidémiologie du vieillissement.

« À la première vague, on a fait des sacrifices, ajoute-t-il. Tout le monde était d’accord avec des mesures extrêmement rigoureuses et sévères. Alors, on est capables de le faire. Il faut juste qu’il y ait un sens et une fin. »

Ça tombe bien, il y a un sens : protéger la vie de ceux qu’on aime. Il y a aussi une fin. On y arrive. Ce sera fort probablement le seul « Noël moche » avant l’arrivée du vaccin, rappelle le DNguyen.

Le seul Noël sacrifié pour la cause.

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La plupart des Québécois n’attendront pas l’annonce du premier ministre. Selon un récent sondage CROP-La Presse, 60 % d’entre eux ont déjà renoncé à se réunir pour Noël. Ils resteront chez eux. Tant pis (ou tant mieux ?) pour la dinde.

C’est triste, décourageant même, mais force est d’admettre que c’est la chose à faire.

L’Agence de la santé publique du Canada recommande de limiter les festivités à son propre ménage. L’Ontario interdit les réunions. Au Québec, les experts cachent de moins en moins leurs inquiétudes.

Benoît Barbeau, spécialiste en virologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), avouait dimanche dans nos pages ne pas comprendre le contrat moral du gouvernement. « Ça va à l’encontre de tout ce qui a été dit auparavant et de ce qu’on sait du virus. »

Le DDon Sheppard, microbiologiste au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), a prédit dans plusieurs médias que l’histoire jugera très sévèrement ceux qui auront propagé le virus pour faire la fête.

On a beau être fatigués, écœurés, avoir besoin d’une pause… on reste en pleine pandémie.

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Ce qui inquiète surtout le DNguyen, c’est que les Québécois qui se réuniront à Noël finiront par oublier la COVID-19. « Ils vont se dire : on y retournera plus tard. On veut protéger Noël. »

Mais le virus n’offrira pas cette trêve imaginaire.

Bien des gens baisseront la garde devant leurs proches. Ils auront l’impression que les personnes qu’ils aiment depuis toujours – un père, une mère, un enfant – ne peuvent les exposer à une maladie mortelle. Ils leur feront confiance.

Mais ça n’a rien à voir avec la confiance. Ce virus est pernicieux. Sans le savoir, des personnes asymptomatiques le transmettront à des gens vulnérables. Qui se retrouveront à l’hôpital. Ou à la morgue.

Ça va se produire à Noël. C’est inévitable.

Peut-être chez tel voisin, peut-être chez tel autre. Peut-être chez soi. On n’en sait rien. Célébrer Noël en pleine pandémie, c’est jouer à la roulette russe.

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Beaucoup de Québécois s’imaginent qu’ils doivent impérativement fêter Noël avec un proche âgé, puisque c’est peut-être, qui sait, son dernier Noël.

À moins que ce proche ne soit au CHSLD ou aux soins palliatifs, ce n’est fort probablement pas le cas, a fait remarquer le DNguyen, lundi, sur Twitter.

Selon Statistique Canada, il reste encore cinq Noëls, en moyenne, aux personnes de 90 ans et plus ; sept aux 85-89 ans ; huit aux 80-84 ans ; douze aux 75-79 ans.

« Avant de se dire qu’on doit célébrer ce qui peut être le dernier Noël d’un proche âgé, gardons en tête le taux de mortalité (faible) et l’espérance de vie (haute) chez les aînés, hors-COVID », a écrit le gériatre.

Évidemment, chaque cas est différent. Il y a toutes sortes de circonstances parfaitement légitimes qui peuvent pousser des gens à se voir pendant le temps des Fêtes.

Mais de façon générale, le plus beau cadeau qu’on puisse faire à grand-papa cette année, c’est de s’abstenir de débarquer avec toute la famille pour lui serrer la pince.

Personne n’a envie que le prochain rassemblement familial ait lieu au cimetière.

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