entrevue avec l’auteur jean-françois lozier

Nouveau regard sur la cohabitation entre Amérindiens et colons

Plus de 200 ans avant les pensionnats autochtones, des amérindiens se sont installés près des colonies de la Nouvelle-France. Ces « Indiens domiciliés » étaient-ils des victimes comme les peuples autochtones qui étaient en contact avec les colons espagnols, anglais et portugais ? La réalité est plus complexe, explique Jean-François Lozier, de l’Université d’Ottawa, dans son livre Flesh Reborn.

Pourquoi votre livre est-il pertinent au XXIe siècle ?

Au départ, c’était ma thèse de doctorat. À l’origine, il y avait une question, peut-être pas naïve, mais simple : j’étais curieux de mieux connaître l’histoire des communautés autochtones dites domiciliées, qui se sont établies près des villes coloniales de la Nouvelle-France. La population s’est diversifiée et correspond aux communautés du Québec qui, au XIXe siècle, sont devenues des réserves. Odanak, Wendake, Kanesatake et Kahnawake sont les plus importantes. Il est clair que les guerriers de ces communautés ont joué un rôle important du côté français dans les guerres intercoloniales. Le poids géopolitique de ces communautés est beaucoup plus grand que ce qu’on voit en observant les communautés actuelles, qui sont petites par rapport aux non-autochtones et ont été marginalisées au fil du XIXe et du XXe siècle.

Vous évoquez la comparaison entre les colonisations française et anglaise, cette dernière étant souvent jugée plus « confrontationnelle » avec les autochtones.

On ne peut pas nier que les Français sont plus accueillants envers les colons autochtones qui se réfugient auprès d’eux. Mais il ne faut pas s’imaginer, comme d’autres historiens et la culture populaire, que les Français avaient plus grand cœur. Dans les faits, pour des raisons démographiques et économiques, ils sont trop peu nombreux pour s’imposer comme les Anglais, les Espagnols et les Portugais. De plus, l’économie de la Nouvelle-France dépend du commerce des fourrures et les Français ne sont pas ceux qui chassent le castor et les animaux à poil.

Les commerçants de fourrures anglais avaient-ils un rapport similaire avec les autochtones ?

Il faut éviter de généraliser. La colonie new-yorkaise, par exemple, pour une bonne partie du XVIIe siècle, est néerlandaise et dépend de la traite des fourrures tout autant que la Nouvelle-France. À Albany et Schenectady, il y a des marchands qui apprennent les langues autochtones. Cela dit, les Français vont développer l’habitude d’aller au-devant des populations autochtones, dans les Grands Lacs et à l’intérieur du continent, ce qui a donné le coureur des bois. Les marchands anglais et néerlandais ont tendance à rester dans les villes frontalières.

Quel est le rôle des missionnaires ?

Le catholicisme romain de la contre-réforme est zélé, missionnaire, poussé à la conversion. Les protestants sont plus retournés sur eux-mêmes. Le bon protestant n’a pas besoin de convertir l’autre, il a une relation directe avec Dieu. Étant donné la démographie, quelques missionnaires apprennent les langues autochtones, tentent de créer des ponts. Ce n’est pas qu’ils sont ouverts au multiculturalisme, c’est une ouverture d’obligation. Mais ça donne nécessairement un métissage, un syncrétisme qui va être naturalisé par les autochtones et qui devient un élément déterminant de leur identité.

Pourtant, il y a eu les pensionnats autochtones.

C’est tout à fait différent. Champlain, les jésuites et les récollets ont tenté de transformer les autochtones en Français, mais dès la fin des années 1630, les jésuites, dans une lucidité remarquable, voient que ce n’est pas possible à cause des réalités du terrain, de la démographie. Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle qu’émerge le gouvernement britannique canadien moderne, qui a les moyens coercitifs lui permettant de prohiber certaines coutumes autochtones, d’obliger les familles à envoyer leurs enfants dans des pensionnats.

Comment Kahnawake et Kanesatake sont-elles devenues mohawks ?

Les traités de paix de 1665 et 1667 sont à mon avis encore plus révolutionnaires que la Grande Paix de 1701. Ils permettent à des centaines de familles de migrer des communautés iroquoises du nord de l’État de New York vers la vallée du Saint-Laurent. Il est clair que c’est ce qu’on peut appeler de « nouveaux Iroquois », des descendants de Wendats en grand nombre et d’Algonquoins. Les guerres iroquoises sont des guerres de capture et d’adoption. Les guerres des cinq nations iroquoises contre les Wendats dans les Grands Lacs sont un mécanisme démographique pour survivre et maintenir une importance politique. Avec la paix franco-iroquoise de 1665 et 1667, on voit que ces Wendats nouveaux Iroquois sont plus ou moins bien assimilés.

La guerre de capture des Iroquois contre les Wendats et les Algonquins des Grands Lacs aux XVIe et XVIIe siècles peut-elle être assimilée à un génocide culturel ?

Génocide est un terme problématique que je n’utilise pas dans le livre, mais on voit assez clairement par le discours des diplomates iroquois et wendats que ces guerres ont pour objectif de détruire les Wendats comme entité politique. Pendant la décennie 1650-1660, ce ne sont pas les Français mais bien les Wendats réfugiés auprès d’eux près de Québec qui demeurent la cible principale des Mohawks et des Onondagas. Or, le régiment de Carignan-Salières envoyé dans la colonie en 1665 reçoit lui-même comme directive de détruire, d’exterminer les Iroquois. Heureusement, il n’en a pas les moyens.

quelques repères historiques

1535

Jacques Cartier visite Hochelaga et rapporte l’existence de villages avec palissades dans l’île, ainsi qu’en aval et en amont.

1540

Début de la disparition des sites iroquoiens du Saint-Laurent.

1580

Derniers sites habités par les Iroquoiens du Saint-Laurent.

1603

Exploration de la vallée du Saint-Laurent par Samuel de Champlain, qui ne note aucun village habité en permanence.

1650

Un groupe de 300 Hurons-Wendats des Grands Lacs s’installe près de Québec.

1697

Fondation définitive de Wendake.

— Mathieu Perreault, La Presse

Sources : Science Advances, Encyclopédie canadienne, Université d’Ottawa

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.