Vers la présidentielle

« Biden n’a pas perdu et Trump n’a pas gagné »

Que retenir de ce débat chaotique, tendu et sans précédent ? Charles-Philippe David, fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques et président de l’Observatoire sur les États-Unis de l’Université du Québec à Montréal, commente ce premier face-à-face entre Joe Biden et Donald Trump.

À quel point ce débat est-il écouté et important aux États-Unis ?

C’est le Super Bowl de la politique, c’est toujours un moment fort de la campagne américaine. C’est un moment où les électeurs peuvent prendre conscience directement des divergences, du caractère, des visions des candidats. C’est particulier à cette élection pour trois raisons. La première, c’est qu’on est en pandémie, il y a un moment de crise très fort. La deuxième raison, c’est le caractère et les scandales de Donald Trump, évidemment, qui attirent énormément, ce qui fait que, troisièmement, on va avoir un nombre record d’auditeurs et téléspectateurs. On pense qu’on va dépasser 100 millions de personnes.

Qui jouait le plus gros ?

Biden avait tout à perdre s’il faisait le contraire de ce à quoi on s’attend de lui, c’est-à-dire qu’il fallait qu’il ait de l’énergie, et ce, pour toute la durée du débat. Il perdrait beaucoup s’il donnait raison au surnom que lui donne Trump, « Joe l’endormi ».

Finalement, comment Biden s’en est-il tiré ?

Il n’a pas perdu et Trump n’a pas gagné. Je pense qu’au pire, c’est un match nul. Je pense qu’il n’y a aucun électeur républicain qui va changer d’idée après ce débat, et je pense qu’il n’y a pas un électeur démocrate qui va changer d’idée non plus. Ce n’est pas le débat qui change l’allure de la campagne. Sur la substance, un léger avantage à Biden, qui connaît bien ses dossiers. Demain, on va retenir le chaos – le mot-clé – et l’agressivité de Trump, qui était tout le temps sur l’offensive. Biden, parfois, a manqué d’énergie. J’ai eu l’impression que [le modérateur du débat Chris] Wallace a fait le travail de Biden pour stopper Trump. Par contre, je pense que Biden a pris un peu plus d’énergie et d’aplomb au fur et à mesure qu’on avançait, contrairement à tout ce qu’on prévoyait. D’ailleurs, je pense que l’équipe de Biden a dû lui faire répéter ses réactions faciales : sourire, découragement, exaspération. Ce qui pourrait se révéler efficace.

Des six thèmes abordés durant le débat, quel a été le meilleur segment, selon vous ?

J’ai trouvé que sur le segment sur l’Obamacare et la santé, Biden était très bon. Avec le segment sur la légitimité des élections. J’ai trouvé que c’étaient les deux meilleurs segments. Sur la Cour suprême, c’était difficile, j’ai trouvé Biden faible. Sur Beau et Hunter Biden, j’ai trouvé ça triste. Que deux candidats se parlent de leurs enfants, c’était pathétique. C’était d’une tristesse. Je n’ai jamais vu ça. Par ailleurs, la meilleure ligne de la soirée, c’est quand Biden a dit à Trump : « Will you shut up ?! » Dire au PM ou au président : « Allez-vous la fermer ? », je n’ai jamais entendu ça !

Donald Trump a refusé de condamner les suprémacistes blancs et les a même invités à se tenir « prêts ». Que penser d’une telle déclaration ?

Donald Trump est le pyromane en chef. Chaque fois qu’il s’agit d’essayer de calmer le jeu et de ne pas encourager les suprémacistes, qui représentent le groupe terroriste le plus important aux États-Unis, il n’est pas au rendez-vous. Chaque fois, il met le feu et va ensuite accuser les démocrates de ne pas être un bon service d’incendie et d’attiser les flammes. Les réactions des chefs d’État sont tellement importantes dans ces moments-là. Il n’est jamais vraiment présidentiel dans ces situations-là.

Est-ce que les débats à venir promettent d’être plus intéressants ?

Je pense que le débat vice-présidentiel risque d’être le plus intéressant de tous. Mike Pence est calme, efficace et posé. Déjà, on aura un débat où on pourra écouter des arguments plutôt que de se buter sur les interruptions incessantes des candidats, surtout de la part de Trump. On aura aussi une candidate bien plus jeune, qui amène une vision différente de la société américaine. Dans les enjeux de substance, on aura beaucoup plus de faits. Je m’attends à ce que Kamala Harris ait de l’énergie à revendre. Il faudra bien l’écouter et la regarder, parce qu’elle sera peut-être présidente des États-Unis… avant longtemps.

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