Pandémie

« Nous n’avons pas à être que des victimes passives »

Traquer les pandémies passées pour mieux comprendre celles à venir : c’est ce que propose la journaliste scientifique américaine Sonia Shah avec l’essai Pandémie, publié récemment en version française. Un ouvrage paru originellement avant l’avènement du SARS-CoV-2 causant la COVID-19, mais qui jette néanmoins un regard éclairant sur la pandémie mondiale qu’il a engendrée.

En 2011, partie en quête du lieu de naissance des nouveaux agents pathogènes, la journaliste scientifique américaine Sonia Shah s’est rendue dans un marché humide de Guangzhou, dans le sud de la Chine. Là où sont vendus, en plein air, des animaux vivants, souvent exotiques, capturés dans la nature et destinés à la consommation. Là où, en 2003, est né le virus du SRAS qui a tué 800 des 8000 personnes infectées. C’est aussi dans ce type d’endroits qu’a émergé son cousin, le SARS-CoV-2 causant la COVID-19, un virus moins mortel que son prédécesseur, mais hautement transmissible.

« Rangée après rangée, des animaux qui s’étaient rarement, voire jamais, rencontrés dans la nature étaient ici, respirant, urinant, déféquant et mangeant les uns à côté des autres », raconte Sonia Shah, dans son essai Pandémie, qui a été publié en version originale anglaise en 2016. Une scène qui, dit-elle, illustre remarquablement pourquoi le SRAS avait commencé là.

En plongeant dans l’histoire, depuis les premières manifestations du choléra jusqu’au SRAS et la grippe H1N1, la journaliste expose en quelque sorte la fatalité de l’actuelle pandémie. Un récit fascinant, qui se veut à la fois une démarche scientifique et personnelle, où le rôle de la déforestation, de l’urbanisation, du développement des transports, de l’élevage industriel et d’un accès restreint à l’eau potable est démontré dans la propagation des agents pathogènes.

Prédite par de nombreux épidémiologistes, la pandémie de COVID-19 ne surprend pas davantage celle qui est également autrice d’essais sur la malaria, sur les essais cliniques de médicaments dans les pays en développement et, plus récemment, sur la migration des populations, un livre qui est paru en anglais en juin dernier. Cette pandémie s’inscrit dans le cours des choses.

« Nous avons créé une usine à produire des virus par nos comportements sociaux et politiques et nous ne l’avons jamais fermée. Nous continuons donc d’avoir de plus en plus de nouveaux types de coronavirus.  »

— Sonia Shah, journaliste scientifique et autrice de l’essai Pandémie

« C’est probabiliste. C’est comme jouer à la roulette. Il suffit que vous tombiez sur un [virus] qui présente le bon équilibre entre virulence et transmissibilité pour qu’il puisse se répandre, ce que n’avait pas le premier SARS. »

Mais les pandémies ne sont surtout pas que le fruit du hasard, insiste Sonia Shah, que nous avons jointe à Baltimore. « Nous le voyons comme quelque chose qui nous arrive, comme un nuage de pluie ou un éclair. Alors, nous le tolérons du mieux que nous pouvons, nous passons à travers et nous retournons à la normale. Si vous regardez l’histoire des éclosions et des pandémies, c’est exactement ce qui est arrivé chaque fois. »

Tirer des leçons

Alors qu’il y a tant à apprendre des épidémies passées, beaucoup de leçons restent encore à tirer. « Nous n’avons pas à être que des victimes passives de ces agents pathogènes qui viennent de nulle part, affirme-t-elle. Nous pouvons façonner notre environnement. Nous pouvons changer notre relation à la nature, à la vie sauvage et au bétail. Ce sont des choses qui sont en notre pouvoir. Nous ne pouvons mettre fin aux maladies infectieuses pour toujours. Les épidémies font partie de la condition humaine. […] Mais les pandémies sont un phénomène social et politique et le comprendre de cette façon signifie que nous sommes habiletés à faire quelque chose. »

Environ 60 % des nouveaux agents pathogènes rencontrés de nos jours proviennent des animaux et 70 % d’entre eux, d’animaux sauvages, souligne Sonia Shah. Et c’est cette proximité de plus en plus grande entre les humains et les animaux sauvages, causée principalement par la destruction de leurs habitats, qui favorise le passage des microbes et virus des seconds aux premiers. C’est l’histoire d’Ebola, de la variole du singe et de plusieurs autres zoonoses.

« Si nous abattons une forêt où vivent les chauves-souris dans la jungle lointaine, elles ne vont pas simplement disparaître. Elles vont venir vivre dans les arbres, dans nos cours, nos jardins et nos fermes à la place. Et cela permet aux microbes qui vivent dans leurs corps de se répandre plus facilement dans les nôtres. »

— Sonia Shah

Un pouvoir transformateur ?

La pandémie de COVID-19 diffère des autres par la façon dont elle a touché les pays riches, croit Sonia Shah, nous faisant ainsi prendre conscience que de telles éclosions n’étaient pas l’apanage des contrées lointaines, sous-développées. Mais cette pandémie aura-t-elle un pouvoir transformateur ?

Sonia Shah ne se range pas d’emblée dans le clan des optimistes. Peut-être que deux autres pandémies comme celles-ci seront nécessaires, selon elle, pour provoquer des changements sociaux durables. « Je pense que cette idée que nous allons tous apprendre cette leçon, ce n’est pas clair pour moi que c’est ce qui va arriver. Une chose qui, je pense, peut être utile est que c’est la première vraie expérience partagée à l’échelle mondiale. Et je pense que cela seul peut être transformateur parce que la plupart d’entre nous vivent dans nos propres petites bulles, à différents endroits. Nous ne partageons pas beaucoup d’expériences communes. Et maintenant, nous vivons tous cette expérience très traumatisante ensemble en tant que population mondiale. Je pense que c’est une chose assez exceptionnelle qui sera transformatrice, même si on ne sait pas exactement comment. »

Pandémie – Traquer les épidémies, du choléra aux coronavirus

Sonia Shah

Écosociété

328 pages

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