Couverture cellulaire

Une couverture trouée en région

Quand leur voiture est restée coincée dans une route forestière, le 23 décembre, Erin McLaren et son amie Miranda Young Perrier se trouvaient à 20 kilomètres à peine à vol d’oiseau de Témiscaming, le plus proche village. Mais elles auraient tout aussi bien pu être sur la Lune : leurs appels au 9-1-1 sont restés sans réponse, faute de signal cellulaire.

Elles ont dormi une nuit dans l’auto, puis ont erré pendant deux jours le long de cette route peu fréquentée à cette période de l’année. Sans nourriture, sans eau, dans le froid et la crainte constante de croiser une bête sauvage.

Elles ont passé le réveillon à la belle étoile au bord d’un feu éteint et ont dormi dans une roulotte de chantier abandonnée le soir de Noël. Ce n’est que le 26 que le frère d’Erin les a finalement retrouvées, en état d’hypothermie, affamées et déshydratées. L’hélicoptère de la Sûreté du Québec est arrivé quelques minutes plus tard pour les ramener vers la civilisation.

L’aventure d’Erin et de son amie s’est bien terminée. Mais elle aurait pu être évitée si seulement elles avaient pu se servir de leurs téléphones mobiles. « Le service cellulaire est un must dans ce secteur », dit Erin, 35 ans, qui étudie en comptabilité dans un collège ontarien. « Nous avons marché 35 kilomètres et nous n’avons jamais obtenu de signal. »

« Terrible », « inadmissible ». Le préfet de la MRC du Témiscamingue, Arnaud Warolin, ne mâche pas ses mots au sujet de la couverture cellulaire dans son coin de pays, qui comprend 20 municipalités et 4 communautés autochtones. Le tiers d’entre elles échappent carrément au réseau cellulaire.

« On n’a pratiquement pas de couverture. C’est un des plus grands enjeux de société auxquels on fait face. »

— Arnaud Warolin, préfet de la MRC du Témiscamingue

L’Abitibi-Témiscamingue espérait doubler sa couverture cellulaire grâce à un vaste projet de construction d’antennes et de tours de télécommunications, qui aurait amené le signal dans le secteur où Erin McLaren a été retrouvée en décembre. Mais sa demande de financement au programme fédéral Canada Branché a été rejetée l’an dernier.

« L’Abitibi-Témiscamingue devrait être à l’heure du Québec et à l’heure du monde, dit Louis Dallaire, président de la corporation Gestion de l’inforoute régionale de l’Abitibi-Témiscamingue (GIRAT). On veut être au diapason, mais les grandes télécoms ne veulent pas mettre de l’argent pour couvrir 50 ou 100 personnes. »

UN PROBLÈME GÉNÉRALISÉ

Le problème n’est pas propre au Témiscamingue. De la Mauricie au Bas-du-Fleuve en passant par le Lac-Saint-Jean, la Côte-Nord et même dans des secteurs situés à proximité de Québec et Montréal, l’accès à la téléphonie cellulaire reste limité, voire inexistant.

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) affirme pourtant que 99 % des habitants du pays sont couverts par des réseaux cellulaires. « On peut faire dire ce qu’on veut aux chiffres », rétorque François-Philippe Champagne, député libéral de Saint-Maurice–Champlain et secrétaire parlementaire du ministre fédéral des Finances Bill Morneau.

Il est familier avec le problème : il y a deux semaines à peine, Rogers a annoncé qu’il abandonnait son projet de desservir la route 155 au nord de La Tuque, qui relie la Mauricie au Lac-Saint-Jean. La décision a suscité une levée de boucliers dans la région.

Pour le maire de La Tuque, Normand Beaudoin, c’est une question de sécurité dans ce tronçon pratiquement inhabité où passent tout de même 3000 véhicules quotidiennement.

« Si on a un problème entre Shawinigan et La Tuque, où la couverture est sporadique, on peut quand même se débrouiller parce qu’il y a quelques résidences. Mais au nord de La Tuque, on s’ennuie de notre mère ! Ce n’est pas un endroit où tu veux avoir un pépin le soir quand il fait - 30. »

— Normand Beaudoin, maire de La Tuque

Il y a deux ans, le maire Beaudoin est arrivé par hasard sur les lieux d’une collision entre la voiture d’un couple et un orignal, près de l’embranchement qui mène à Lac-Édouard, à 45 kilomètres au nord de La Tuque. S’il n’avait pas eu un téléphone satellitaire fourni par la Ville, les secours auraient mis au moins 20 minutes de plus à être alertés, dit-il.

RÉGIONS MOINS ÉLOIGNÉES

Les régions dites éloignées n’ont pas le monopole des trous dans la couverture cellulaire. Des secteurs plus proches des grands centres sont aussi touchés. Dans Chaudière-Appalaches et dans le Bas-du-Fleuve, par exemple, dès qu’on s’éloigne du littoral pour monter dans les villages de l’arrière-pays, la couverture est au mieux intermittente.

L’an dernier, un comité de citoyens de plusieurs villages de la région de L’Islet a fait parvenir une pétition de près de 2000 noms à Telus, réclamant l’amélioration du réseau.

« On veut que Telus nous donne le service qu’il nous promet. »

— Sandy McKay, producteur forestier de Saint-Pamphile

Dans une lettre adressée à M. McKay en novembre, le président de Telus Corporation Québec, Éric-Pierre Lavoie, a dit « prendre au sérieux » la demande et indiqué qu’un comité de travail avait été créé pour examiner la possibilité d’une « couverture sans fil élargie » dans la région.

Il souligne néanmoins que contrairement à la téléphonie résidentielle, la téléphonie cellulaire n’est pas considérée par le CRTC comme un service essentiel, ce qui laisse les entreprises de télécommunications « libres de financer et déployer leur réseau sans fil ou non ».

En attendant des gestes concrets, le député conservateur Bernard Généreux de Montmagny-L’Islet-Kamouraska-Rivière-du-Loup a réuni hier soir à La Pocatière plus de 70 maires, préfets et représentants municipaux de sa circonscription afin d’adopter une position commune sur cet enjeu brûlant pour la région.

« Pour parler comme Justin [Trudeau], on est en 2015 – même en 2016. La téléphonie cellulaire, c’est devenu un bien essentiel ! », a affirmé M. Généreux.

Un point de vue que partage la Fédération québécoise des municipalités, qui milite depuis longtemps pour une meilleure couverture cellulaire. « Nous sommes conscient que c’est une question de sous, dit son président, Richard Lehoux. Mais l’électrification et la téléphonie filaire, ça a commencé dans les grands centres urbains et villages et on l’a ensuite étendue partout. Le même principe devrait s’appliquer pour le cellulaire. »

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