Le Québec du troisième âge

La fin d’une époque

Rivière-à-Claude, — Gaspésie — Il y a d’abord eu l’école du village. Puis les moulins à scie et la pêche. Les épiceries ont suivi, tout comme le bureau de poste. Peu à peu, tout ce qui a donné vie à Rivière-à-Claude a fermé ou disparu. Et dans son sillage, les jeunes ont quitté ce petit village gaspésien pour trouver un emploi ailleurs au Québec.

Aujourd’hui, la municipalité de 115 habitants est la plus âgée de la province, les trois quarts de la population ayant plus de 50 ans. De 2001 à 2015, l’âge moyen est passé de 52 ans à 59 ans.

Ce lent déclin de Rivière-à-Claude a commencé au début des années 60 quand le gouvernement a décidé de fermer l’école du village. « C’est là que ça a commencé, l’exode des jeunes », se rappelle Réjean Normand, maire du village.

Difficile de l’oublier : la municipalité a aménagé son hôtel de ville dans l’ancienne école. Les murs du bâtiment sont tapissés de photos noir et blanc pour témoigner d’une époque où ce village situé dans une petite anse prospérait.

« Il n’y a plus de dépanneur, plus de bureau de poste. Ils enlèvent tout », se désole aujourd’hui Réal Castonguay, qui a passé les 81 années de sa vie à Rivière-à-Claude.

Certains s’inquiètent pour l’avenir du village alors que ses habitants se font de plus en plus vieux. « S’il n’y a pas d’enfants, je ne sais pas si [Rivière-à-Claude] va être encore là », dit Monique Côté, 82 ans. Comme tous ceux qui ont fait le choix de rester, elle-même ne s’imagine pas vivre ailleurs, profondément attachée au fleuve Saint-Laurent qu’elle scrute constamment avec une paire de jumelles. « En me levant, tous les matins, c’est la mer. »

Sa fille, Marie-Claude Rioux, comprend toutefois les jeunes familles de ne pas venir s’établir dans la municipalité. « Tu ne peux pas amener les gens et les mettre sur le bien-être. Il n’y a pas de travail ici », dit la femme de 53 ans qui a elle-même dû trouver un emploi dans une autre municipalité, à une quinzaine de kilomètres à l’est.

Pour attirer de nouveaux résidants, le maire Réjean Normand aimerait bien accueillir des entreprises à Rivière-à-Claude, mais le réseau d’Hydro-Québec alimentant le village n’est pas assez puissant. Il y a eu un projet d’aménager des lignes à moyenne tension, mais la facture aurait dépassé les 100 000 $ par année pour la municipalité. Beaucoup trop pour son budget de 225 000 $ par an.

Le maire hausse les épaules quand on lui demande ce qu’il voudrait faire pour relancer son village. « C’est sûr que ça fend le cœur, mais qu’est-ce qu’on peut faire ? »

Rivière-à-Claude n’a toutefois rien d’un village fantôme. Loin d’être laissées à l’abandon, les maisons vacantes sont rapidement rachetées par des retraités qui viennent passer l’été en Haute-Gaspésie. L’hiver venu, la majorité retourne en ville, la saison froide pouvant être difficile à vivre avec le vent marin qui se fait ressentir jusque dans les os.

Problème de relève

Rivière-à-Claude ne compte qu’une employée, la directrice générale Claudine Auclair. À la barre de la municipalité depuis 38 ans, elle a décidé de prendre sa retraite en juin prochain. Et les recherches pour lui trouver un successeur dans une région où la majorité des jeunes sont partis s’avèrent extrêmement difficiles. « C’est terriblement dur à trouver. C’est des petits salaires. Je n’ai même pas de retraite quand je pars », dit-elle.

Claudine Auclair laisse toutefois une municipalité aux finances impeccables : Rivière-à-Claude ne traîne aucun dette. « On n’en veut pas, de dettes », dit Réjean Normand. Et ce, même si les taxes sont parmi les plus basses au Québec, soit moins de 900 $ par an en moyenne, selon les données du MAMOT.

Même si le village ne compte aucun col bleu, sa propreté a de quoi donner des complexes aux villes bien loties. Pas de déchets qui traînent, sentiers entretenus : les habitants soignent eux-mêmes leur milieu de vie. Et quand la lumière d’un lampadaire brûle, c’est le maire qu’on appelle. « Je suis un peu l’homme à tout faire », admet Réjean Normand.

Mais à 75 ans, l’homme aimerait ralentir la cadence. Sa voiture témoigne bien de son emploi du temps chargé. Achetée il y a moins de deux ans, elle affiche déjà 56 000 km au compteur. Beaucoup pour un village qui compte cinq rues.

C’est qu’en plus de son chapeau de maire, Réjean Normand préside à peu près tous les organismes de Rivière-à-Claude. Il préside le conseil de fabrique de l’église locale depuis bientôt 14 ans. Il est aussi à la tête du conseil de la Maison des aînés de Mont-Louis, une résidence pour personnes âgées.

Réjean Normand est même président du Club de motoneige de la région. Et ce, même s’il n’a jamais fait de motoneige.

S’il cumule autant de chapeaux, ce n’est pas par mégalomanie, mais parce que personne d’autre ne se propose pour faire le travail. Déjà, à défaut de relève, des organismes disparaissent. Jadis très actifs, les Chevaliers de Colomb et les Filles d’Isabelle ont fermé leur section locale.

Craignant de ne pouvoir trouver de la relève, Réjean Normand cherche des solutions. Il a envisagé une fusion, mais le ministère des Affaires municipales lui a dit d’oublier ce scénario. Il mise sur des ententes de services avec les municipalités voisines.

Paradoxalement, le vieillissement et le problème de relève qu’il entraîne freinent aussi les efforts pour combattre l’isolement des personnes âgées. L’ancienne mairesse, Micheline Bernier, a déjà tenté de mettre en place un projet pour venir en aide aux aînés qui ne peuvent plus sortir de chez eux. Elle avait réussi à obtenir le financement pour embaucher un animateur de vie sociale. Mais personne n’a postulé pour l’emploi.

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