Stratégies

Herbert Black a encore des rêves à réaliser

Mener une entreprise, c'est avant tout une affaire de stratégie. Chaque vendredi, des dirigeants révèlent quelques éléments de leur plan de match et de leur vision.

D’autres, à sa place, choisiraient de se prélasser sous le soleil. Septuagénaire et multimillionnaire, le magnat de la ferraille Herbert Black, lui, continue de mordre dans la vie, que ce soit à la barre de son hélico, au volant de sa Porsche 918 Spider électrique ou à la tête de son entreprise de recyclage des métaux.

Le fils de Peter Black, fondateur d’une modeste cour à ferraille de la rue Moreau, dans Hochelaga-Maisonneuve, qui a ouvert ses portes en 1936, préside l’entreprise familiale depuis 1969. AIM – pour American Iron & Metal ou Compagnie américaine de fer et métaux – emploie aujourd’hui près de 2400 personnes dans le monde et a un chiffre d’affaires de 1,4 milliard.

« Je n’ai pas abandonné le rêve de mettre la main un jour sur une aciérie », dit l’homme d’affaires de 73 ans, en entrevue.

La boucle serait bouclée. La Compagnie américaine de fer et métaux deviendrait l’exemple parfait de l’économie circulaire : fabriquant, recyclant, mettant en valeur et réutilisant l’acier.

Le public connaît d’Herbert Black son côté fantasque. Il est celui qui n’a pas hésité à payer 100 000 $ à l’encan pour la cravate de l’entraîneur du Club de hockey Canadien en 2008. On a aussi entendu parler du spéculateur qui a fait 100 millions en 1996 en pariant sur le prix du cuivre.

« M. Black, c’est une machine. Il n’arrêtera pas, dit un concurrent admiratif, qui ne veut pas être identifié pour ne pas risquer de se mettre à dos quiconque dans l’industrie. Lui, quand il décide de quoi, même s’il dirige une entreprise de 2000 employés, ça y va par là. À 5 h, il est debout. À minuit, il ne dort pas. »

« Même si c’est un compétiteur, je dois reconnaître que c’est un gars qui est très visionnaire. Il a des yeux et des oreilles tout partout. C’est pour ça qu’il contrôle le marché. Il est smatte. »

— Un compétiteur

Si le patron est connu, sa société fait preuve d’une discrétion qui contraste avec son influence économique.

À Montréal-Est, les installations d’AIM s’étendent sur un immense quadrilatère délimité au sud par l’autoroute Métropolitaine et au nord par le boulevard Henri-Bourassa. Elle y emploie 720 personnes, dont 134 au siège social. AIM est le numéro 1 de l’industrie de la ferraille au Canada, numéro 4 en Amérique du Nord et dans le top 15 mondial.

Plus qu’un ferrailleur

Mais AIM, c’est beaucoup plus qu’un ferrailleur, aussi gros soit-il. Lors d’une visite à ses installations, on y a vu une usine de fabrication d’alliages et de fils à souder, un laboratoire concevant une pâte destinée à l’industrie des semiconducteurs.

Le rayonnement de la société se fait sentir dans la métropole. Le président d’AIM a donné 2,5 millions en 2012 à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont pour son centre d’excellence en thérapie cellulaire. Il contribue aussi à l’Hôpital juif, à la fondation Myriam et à l’Université McGill.

Dans les dernières années, la croissance a été alimentée par le contrat de récupération des voitures MR-63 du métro de Montréal et la disposition de 6,3 milliards de pièces de 1 cent de la Monnaie royale canadienne. Sa filiale Delsan a obtenu les contrats de démolition de l’aérogare de l’aéroport de Mirabel et de la raffinerie Shell de Montréal-Est.

En attendant le rachat d’une aciérie, la hausse des revenus passe par le déploiement de son enseigne Kenny U-Pull, qui se spécialise dans la vente au détail à bas prix de pièces d’autos en libre-service. Chaque mois, M. Black achète en moyenne 8000 voitures usagées.

« C’est une façon pour M. Black d’alimenter ses broyeurs, en plus de faire de l’argent sur les pièces les plus populaires. C’est brillant. En ayant ses propres cours de voitures, AIM élimine un intermédiaire. »

— Un concurrent qui a accepté de nous parler sous le couvert de l’anonymat, de peur de perdre des clients

La raison sociale appartenait à la Société nationale des ferrailles (SNF) qu’AIM a rachetée en 2008. Depuis, M. Black a adapté le concept et l’a étendu aux quatre coins de la province. « Sur YouTube, il existe un paquet de vidéos montrant comment changer des pièces sur une voiture. Le faire soi-même n’a jamais été aussi accessible », dit-il en guise d’explication sur le potentiel du concept.

Aujourd’hui, on compte 13 Kenny U-Pull, et 3 ouvertures sont prévues d’ici 18 mois : à La Prairie, à Ottawa et à Montréal.

D’ailleurs, Herb Black mène une lutte sans merci contre l’ancien dirigeant de SNF, Jean-Guy Hamelin, qui a ouvert un mégabroyeur en 2016 juste à côté de celui d’AIM, à Laval.

Le démantèlement du pont Champlain

Pour 2019, Herbert Black a l’œil sur le contrat concernant le démantèlement du vieux pont Champlain. Société intégrée, AIM est bien placée pour maximiser la valeur des métaux provenant de la démolition de structures obsolètes.

À plus long terme, la question de la succession à la tête d’AIM se pose. « Je crois que la société restera une entreprise familiale dans laquelle mon frère Ron, mon fils Richard et mes petits-enfants continueront d’être impliqués », dit Herbert Black, qui n’a pas désigné publiquement de dauphin.

Il ne sera pas aisé de succéder à celui qu’un concurrent surnomme le « Wayne Gretzky de la ferraille ». « Je suis peut-être Gretzky, mais j’ai marqué la plupart de mes buts déjà. C’est au tour de la jeune génération de remplir le filet, dit-il quand on le questionne sur l’ampleur de la tâche qui attend son successeur. Le jour où je quitterai la présidence d’AIM, ce ne sera pas une seule personne qui fera mon travail, mais trois personnes se partageront le travail avec leurs forces et leurs connaissances. »

Forces

Agilité et rapidité dans la prise de décisions

Société verticalement intégrée

Producteur à bas coûts et moyens financiers considérables

Faiblesses

Industrie cyclique

Prix volatils

Profitabilité influencée par le taux de change

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