Milieu forestier

Une politique qui n’est pas suffisante

L’auteur s’adresse au ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec, Pierre Dufour

Le Programme Innovation Bois (PIB) peut animer l’industrie de la transformation du bois d’un esprit nouveau capable de faire une différence durable pour les communautés forestières. Votre raisonnement est logique, même plausible.

Mais cette approche industrielle est-elle suffisante ? Le sigle même de ce programme révèle un biais sectoriel. Il écorne vos prétentions à la durabilité de la forêt et des communautés qui y sont implantées. Quels sont vos engagements envers le territoire ?

Toute la saga entourant le caribou forestier démontre un manque de sensibilité face à l’importance du territoire en matière de gestion. Depuis 2003, on a privilégié les emplois aux dépens de l’habitat du caribou. Les coupes rajeunissant les forêts, elles deviennent inhospitalières au caribou. Mais cela hypothèque aussi le maintien des emplois à long terme. Que faire ? Pour les hardes mises en enclos, j’avoue mon incompétence. Mais ailleurs, comme pour le groupe de caribous du Pipmuacan sur la Côte-Nord, il appartient aux acteurs de terrain d’établir des compromis. Vos aménagistes locaux, les représentants des entreprises visées et des porte-parole des communautés innues concernées devraient arriver à s’accorder en toute connaissance des conséquences avec lesquelles ils auront à vivre. Ces arrangements feront exemple ailleurs sur le territoire. Mais d’avance, les choix seront difficiles. Les données probantes de la science indiquent qu’il y aura des effets tant sur la récolte que sur l’habitat du caribou.

Toutefois, ici, il importe de laisser des interlocuteurs territoriaux baliser les possibles. En passant, je ne saurais trop vous recommander un séjour de quelques nuitées en camp avec des Innus. C’est une expérience enrichissante quant à la signification de territoire. Ça inspire le respect.

Quand il est question d’identifier des scénarios acceptables, la notion d’acceptabilité sociale ressurgit spontanément. Rappelons que ça se construit avant de se mesurer. Comment ? Par la participation des publics concernés par un projet. Curieusement, l’expression acceptabilité sociale est absente de la politique de consultation sur la gestion du milieu forestier déposée par votre ministère en juillet 2021. Construire l’acceptabilité d’un plan d’aménagement forestier intégré passe nécessairement par la cocréation d’une vision souhaitée pour le territoire. Croire qu’il suffit de bien expliquer les modalités d’intervention de production de bois est illusoire. Cette errance explique peut-être les revendications populaires qui émergent régulièrement dans les médias depuis quelques années.

Si la volonté d’une gestion intégrée de la forêt repose seulement sur un système d’information au sujet du maintien de la récolte du bois, nous avons un problème. Parlez-en aux gens de Saint-Mathieu-du-Parc, de Trois-Rives ou de Chute-Saint-Philippe, par exemple. Dans ce dernier cas, un octogénaire menaçant de devenir « L’homme qui plantait des clous » illustre avec panache les limites de votre politique à refléter la singularité des territoires eu égard aux gens qui l’habitent. Dans cette veine, on peut aussi se demander où en est la politique de forêts de proximité. Plus de dix ans après une vaste consultation menée dans l’enthousiasme, la possibilité de voir des communautés géographiques gérer des forêts reste une lubie riche de déceptions.

Monsieur le Ministre, je vous écris cette lettre pour exprimer des inquiétudes. Tant de gestes dilatoires posés en regard de vos obligations de pérenniser le patrimoine forestier n’augurent rien de bon. Votre tâche consiste évidemment à garantir une production de bois. Mais elle comprend aussi la responsabilité d’inscrire les gens du Québec dans le territoire forestier.

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