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Montrez-moi cette pub que je ne saurais voir !

On le sait, la Loi sur la protection du consommateur interdit la publicité destinée aux enfants de moins de 13 ans. Ce qui ne veut pas dire que les jeunes Québécois ne voient pas de publicité. Au contraire, ils n’en ont sans doute jamais vu autant !

« Tu devrais utiliser un rasoir No ! No ! », lance fiston à la blague… Mais où diable a-t-il entendu parler de cet épilateur électrique que certains spécialistes qualifient d’« attrape-nono » ? « À la télé ! répond-il. On voit tout le temps la pub ! »

Le Québec est le seul endroit en Amérique du Nord où la publicité destinée aux enfants âgés de moins de 13 ans est toujours interdite (jouets, jeux vidéo, friandises, etc.). Que ce soit à la télé ou sur le web, où plusieurs batailles ont été menées récemment contre des géants de la malbouffe comme McDonald’s et Coca-Cola, champions du placement publicitaire.

Depuis un an, l’Office de la protection du consommateur (OPC) a reçu une trentaine de plaintes pour des placements contrevenant à la loi. Une loi qui fait consensus au Québec, fondée sur le fait que les enfants de cet âge ne peuvent distinguer la promotion de l’information.

En revanche, rien n’interdit les publicités qui ne présentent pas « d’attrait particulier » pour les enfants. Des pubs que les enfants de moins de 12 ans voient par milliers (environ 40 000 par année, selon une étude de l’UQAM !) lorsqu’ils regardent leurs émissions préférées à Télétoon, VrakTV, Disney, Radio-Canada ou Télé-Québec : épilateurs, jeans amincissants, soutiens-gorge, machines à abdos, alouette… Des pubs jugées inadéquates par des parents qui formulent chaque année des plaintes aux Normes canadiennes.

Exemple d’une publicité diffusée lors d’émissions pour enfants

« Il suffit de se poser la question : qui d’autre est susceptible de regarder la télé en même temps que les enfants ? demande Luc Arbour, vice-président service-conseil à l’agence Bleublancrouge. Si on se fie aux annonces dont vous parlez et leurs heures de diffusion, la réponse est claire : c’est la mère de famille qu’on vise. »

« Les agences respectent la loi, bien sûr, mais ils vont toujours cibler une clientèle. Malgré la loi, il y a plein d’opportunités pour les marques. »

— Luc Arbour, vice-président service-conseil à l’agence Bleublancrouge

LES ENFANTS INFLUENCEURS

M. Arbour, qui a déjà été responsable des placements publicitaires des pains POM et des jus Oasis, reconnaît que les enfants peuvent aussi être des « influenceurs », d’où la diffusion de certaines pubs, apparemment « sans attrait particulier » pour les enfants. « Notre défi en tant que marketeur est de parler au décideur (le parent) à travers l’influenceur (l’enfant). »

La Coalition québécoise sur la problématique du poids, qui surveille de près les pratiques publicitaires de l’industrie agroalimentaire, estime que les enfants canadiens de 2 à 12 ans dépenseraient près de 3 milliards par an à partir de leur propre argent de poche. Un pouvoir d’achat énorme ! De plus, ils influenceraient les achats de leurs parents à hauteur de 15 à 20 milliards.

REJOINDRE LES JEUNES MALGRÉ TOUT

Malgré l’interdiction québécoise qui vise les enfants de moins de 13 ans, les annonceurs parviennent tout de même à faire connaître leurs produits ou leurs marques. « La musique, les couleurs, les personnages fictifs (comme le tigre des céréales Frosted Flakes) sont autant de moyens de capter l’intérêt des enfants », nous dit Luc Arbour.

Le Centre canadien d’éducation aux médias et de littératie numérique rappelle l’importance du marketing de marque et surtout le « pouvoir d’embêter » des enfants. « Les spécialistes du marketing tentent de développer chez les enfants une reconnaissance de la marque afin d’établir avec eux une relation à long terme, estime Thierry Plante. La fidélité à une marque comme Nike ou Calvin Klein peut ainsi être établie dès l’âge de 2 ans. »

DES PUBS APPROUVÉES

Évidemment, les annonceurs doivent s’assurer que leur publicité est conforme aux Normes canadiennes de la publicité. Ils doivent aussi obtenir l’approbation et le classement du Bureau de la télévision du Canada. Corus Média, qui exploite les chaînes télé Télétoon et Disney, ne diffuse jamais de publicité avant midi, une façon d’éviter quelque malentendu que ce soit. Idem pour Vrak.TV, qui se contente d’autopromotion dans sa case horaire matinale.

Est-ce que les annonceurs expriment leurs frustrations de ne pas pouvoir s’adresser directement aux enfants ? « C’est sûr que c’est une contrainte additionnelle, nous dit Dany Meloul, vice-présidente programmation télévision de langue française chez Bell Média, qui exploite entre autres la chaîne Vrak.TV. Comme la publicité est nationale et que le Québec est le seul endroit qui restreint la publicité, il faut s’adapter. Est-ce que les clients s’en plaignent ? La réponse est oui. »

LE DÉFI DE L’INTERNET

Il reste qu’aujourd’hui, de moins en moins de jeunes regardent la télé. Jean-Philippe Harrisson-Boudreau est chargé de cours à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. Ce spécialiste du marketing numérique s’inquiète bien plus de l’accès des jeunes à l’internet.

« Comment empêcher un enfant d’accéder à Facebook, Torrent, Snapchat ou Candy Crush ? Des sites où la publicité est très présente. »

— Jean-Philippe Harrisson-Boudreau, spécialiste du marketing numérique

Selon lui, l’enfant sera toujours exposé à la publicité – que ce soit directement ou par l’utilisation qu’en fait ses parents. « On a beau mettre des filtres ou exercer un contrôle parental, il est pratiquement impossible de les mettre à l’abri des différentes offensives marketing qui leur sont destinées directement ou indirectement. Ce n’est pas si simple de mettre des cloisons. »

Combien d’enfants ont en effet changé leur date de naissance pour s’inscrire sur Facebook ? « Qui contre-vérifie ? demande M. Harrisson-Boudreau. Les jeunes seront toujours actifs sur ces sites qu’ils ont contribué à populariser. Que fait YouTube avec une vidéo virale d’un chien qui fait un vol plané ? D’une manière ou d’une autre, la vidéo finit par rejoindre les jeunes… »

BLOGUEURS ET YOUTUBEURS

Il y a aussi tout le phénomène du marketing d’influence, où des blogueurs et youtubeurs endossent des marques ou des produits dont ils parlent abondamment sur leurs sites en publiant des photographies des vêtements qu’ils portent ou des produits qu’ils sont censés promouvoir. Un flou encore plus troublant entre promotion et information…

Malgré tout, l’Office de la protection du consommateur demeure déterminé à faire respecter sa loi, en dépit des défis posés par la publicité tous azimuts que l’on retrouve sur le web.

« L’arrivée de nouveaux véhicules publicitaires n’a pas empêché l’Office d’agir, nous dit le porte-parole de l’OPC Charles Tanguay. Par exemple, cette année, un avis pénal a été signifié à Pause Café Impérial Inc., dans le dossier du site Slushie.com, au sujet de l’utilisation de la mascotte et du logo de Slushie dans des jeux en ligne destinés aux enfants. Notre intention est donc de continuer à veiller au respect de la loi. »

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Commerçants ayant reçu des plaintes

Liste des commerçants avec plaintes reçues concernant la publicité aux enfants entre le 1er avril 2015 et le 31 mars 2016

LES RESTAURANTS McDONALD’S du Canada Limitée (McDonald’s)

4

COCA-COLA LTÉE

3

CENTRE RÉCRÉATIF BIGFOOT INC.

2

KELLOGG CANADA INC.

2

SLUSH PUPPIE CANADA INC.

2

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Exemples où l’OPC a agi

2015 

Coca-Cola ltée a reconnu sa culpabilité d’avoir fait de la publicité commerciale destinée à des enfants de moins de 13 ans à La Ronde, en payant une amende de 27 664 $.

Une intervention de l’OPC auprès du Carnaval de Québec a conduit à des changements dans une zone commanditée par Christie.

2012

Disney a conclu avec l’OPC un engagement volontaire pour que les contenus visibles par les enfants québécois sur son site web Club Pingouin soient différents.

2009

General Mills a plaidé coupable d’avoir contrevenu à la Loi sur la protection du consommateur dans un site de jeux inspiré de ses céréales Lucky Charms.

Source : Office de la protection du consommateur

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