Des pertes de 22 millions entre 2015 et 2019
Entre 2015 et 2019, les gouvernements auraient perdu 22,4 millions avec le Grand Prix de Formule 1 du Canada, selon les estimations de La Presse à partir de chiffres publics et des deux études de retombées économiques produites pour le Grand Prix et ses partenaires.
Le Grand Prix aurait ainsi coûté 4,5 millions par an de plus en fonds publics qu’il n’a rapporté en revenus gouvernementaux, pour la période de 2015 à 2019.
La Presse est parvenue à ce résultat en additionnant toutes les recettes fiscales des gouvernements générées par le Grand Prix, en plus des redevances qu’ils perçoivent sur les ventes de billets, puis en soustrayant toutes les dépenses gouvernementales liées au Grand Prix : les droits de course versés aux propriétaires de la F1 (Liberty Media), les frais payés pour le retard dans la livraison des paddocks et les frais annuels d’entretien de la piste. Il y a aussi les coûts pour la construction des paddocks et de la nouvelle zone Hospitalité. Ces derniers ont été amortis sur 20 ans, comme le fait la Société du parc Jean-Drapeau (SPJD).
« Le constat qu’on peut faire, c’est qu’il semble que le gouvernement perd probablement un peu d’argent actuellement [avec le Grand Prix] », dit l’économiste Pierre Emmanuel Paradis, président d’AppEco, firme qui se spécialise notamment dans les études d’impact économique.
« Finalement, pour les gouvernements, ça n’a pas été une mine d’or. On est dans un projet qui, pour les gouvernements, est neutre à long terme dans le meilleur des cas », dit Michel Magnan, professeur de comptabilité à l’Université Concordia.
M. Paradis et M. Magnan ont révisé nos calculs et nos hypothèses. Ils estiment que nos hypothèses sont raisonnables.
Montréal, grande perdante
Dans l’entente avec la F1, les trois ordres de gouvernement ont convenu de payer les dépenses liées au Grand Prix à parts égales, mais elles ne se partagent pas, en pratique, les recettes fiscales de la même façon.
Selon les deux études de retombées économiques du Grand Prix, le gouvernement du Québec récolte en moyenne 71,5 % des recettes fiscales liées à l’évènement, le gouvernement du Canada en récolte 28,5 %, et Montréal (Ville de Montréal, SPJD et Tourisme Montréal) ne récolte rien. En principe, Ottawa, Québec et Montréal se séparent les redevances sur les billets à parts égales1.
De 2015 à 2019, Montréal (la Ville, la SPDJ et Tourisme Montréal) aurait ainsi perdu au net 32,3 millions de dollars avec le Grand Prix, selon nos calculs. De son côté, Ottawa aurait perdu 8,0 millions. Et Québec aurait fait au net 17,9 millions. Ensemble, les trois ordres de gouvernement auraient ainsi perdu 22,4 millions.
La SPDJ est une société paramunicipale financée à 47 % par la Ville de Montréal. Tourisme Montréal est un organisme sans but lucratif financé à 70 % par une taxe de 3,5 % sur les nuitées à Montréal.
Québec et Ottawa satisfaits
« Le gouvernement du Québec rentabilise son investissement chaque année. Le Grand Prix génère des dépenses de plus de 80 millions de dollars dans les commerces de la ville et pour des entreprises de services connexes. Le Grand Prix génère une effervescence incomparable pour Montréal », a indiqué le cabinet du ministre de l’Économie du Québec, Pierre Fitzgibbon, dans une déclaration écrite.
Sans compter sa part de financement pour les paddocks, Québec estime ses bénéfices nets à 19 millions avec le Grand Prix pour la période de 2015 à 2019 (La Presse arrive à 17,9 millions). « Le gouvernement du Québec a investi dans les paddocks au même titre qu’il investit dans d’autres infrastructures touristiques », indique le cabinet de M. Fitzgibbon.
« Ces investissements permettent de tenir le Grand Prix à Montréal, ce qui contribue à positionner la destination sur la scène internationale avec des installations des plus modernes. »
— Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie
« Le Grand Prix est un évènement d’envergure mondiale qui contribue à la notoriété de Montréal, du Québec et du Canada », indique par écrit le cabinet de la ministre fédérale du Développement économique, Mélanie Joly.
« Il génère des retombées importantes pour le secteur du tourisme, de la restauration, du commerce de détail et crée également des emplois. Il y a plusieurs façons de calculer les retombées économiques des évènements majeurs, mais il est impératif d’y inclure les retombées directes et indirectes dans tous les secteurs qui bénéficient de leur tenue. En contribuant au financement du Grand Prix, nous contribuons à générer des retombées durables et concrètes pour Montréal, le Québec et le Canada. »
La mairesse de Montréal, Valérie Plante, n’a pas offert de commentaires.
Annulation en 2020 et en 2021
La pandémie a forcé l’annulation de l’évènement en 2020 et en 2021. Pour ces deux années, le Grand Prix n’a donc généré ni recettes fiscales ni redevances sur les billets.
Par contre, il y a des dépenses : deux années d’amortissement pour les paddocks (7,4 millions), et des coûts d’entretien de 0,9 million pour deux ans.
Résultat : selon notre méthode de calcul, les gouvernements auraient perdu 8,3 millions malgré l’annulation du Grand Prix en 2020 et en 2021.
Hypothèses pour 2022-2031
Quelle croissance des revenus générés par le Grand Prix faudrait-il pour que les gouvernements fassent de l’argent durant la période 2022-2031 ?
Selon nos calculs, une croissance des revenus de 5,5 % permettrait aux gouvernements d’engranger 900 000 $ sur l’ensemble de la période. La progression serait ensuite rapide. Une croissance de 5,9 %, par exemple, rapporterait 20,4 millions de dollars (2,04 millions par année en moyenne).
(Dans nos scénarios, les redevances sur les billets augmentent de 4 % par an, et les frais d’entretien de la piste augmentent de 1 % par an.)
1. En réalité, c’est encore plus compliqué. Étant donné que la Ville de Montréal a payé en grande partie les paddocks et que Québec a payé la dernière partie des dépassements de coûts des paddocks, la séparation des redevances sur les billets entre les trois ordres de gouvernement a été ajustée en conséquence. Aux fins de simplification, nous avons choisi de maintenir le principe de base selon lequel Montréal, Québec et Ottawa paient chacun le tiers des dépenses et reçoivent chacun le tiers des redevances sur les billets. À la fin du contrat et de l’amortissement des paddocks, c’est ce qui devrait arriver de toute façon.
Rectificatif
Dans plusieurs articles au cours des dernières semaines, il a été écrit que les trois ordres de gouvernement versaient en moyenne 19,7 millions par an en droits de course à la F1 pour les années 2024-2029. Les gouvernements paient plutôt en moyenne 21,7 millions par an durant cette période. Nos excuses.