Aires protégées

Ça prend un Plan Sud pour le Québec

Les paysages du Nunavik sont grandioses. Mais si vous y cherchez des chênes blancs, des ratons laveurs ou de grands hérons, vous risquez d’être déçu.

Voilà pourquoi il faut se préoccuper de ce qui se passe avec nos aires protégées au Québec.

À la toute fin de l’année dernière, la province a réussi de justesse à protéger 17 % de son territoire, pile sur ce qu’on appelle les « objectifs d’Aichi » des Nations unies.

Ne crachons pas trop dans la soupe. Ce n’est pas rien, et il est réjouissant de voir le Québec annoncer fièrement avoir respecté des cibles internationales plutôt que de les ignorer.

Sauf qu’il faut bien reconnaître que nous avons triché. Ces aires protégées doivent être « représentatives » des grands écosystèmes du Québec. Or, elles sont massivement situées au nord du 49e parallèle.

En fait, seules les régions du Nunavik, du Nord-du-Québec et d’Eeyou Istchee Baie-James atteignent la cible de 17 %. Leurs gigantesques territoires protégés compensent l’inaction ailleurs.

Il y a plusieurs problèmes à cela.

Le premier est que ces aires nordiques concernent des territoires qu’il est certes important de protéger, mais qui foisonnent moins de biodiversité que dans le Sud. Les forêts mixtes du Sud abritent 68 % des espèces d’animaux de la province, contre 25 % pour la zone de végétation arctique. Or, à peine 10 % de la forêt mixte est protégée.

Le deuxième problème est que la majorité des grandes aires protégées sont si éloignées des grands centres qu’elles ne bénéficient pas directement à la population. La pandémie a pourtant montré à quel point les quelques îlots de nature situés autour des villes sont prisés des citoyens.

Le troisième problème, on l’a mesuré en apprenant récemment que le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs avait bloqué 83 projets d’aires protégées, majoritairement dans le Sud. Des lieux emblématiques comme la rivière Péribonka, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. La rivière Magpie, sur la Côte-Nord. Ou le mont Kaaikop, dans les Laurentides.

Pourquoi ? Parce que ces endroits sont… menacés, surtout par l’industrie forestière.

Bref, on protège ce qui n’est pas directement menacé par les activités humaines… et on ne protège pas les zones qui sont vraiment sous pression. Ça manque de volonté et de sérieux.

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Entre la pandémie, la réforme de la loi 101 et les séries éliminatoires du hockey, la conservation de la nature peut paraître secondaire.

C’est tout sauf le cas.

D’abord, il est troublant de savoir que l’être humain est probablement en train de provoquer la sixième grande extinction de l’histoire de la Terre.

Ensuite, même du strict point de vue économique, les écosystèmes fournissent pour plus de 2,2 milliards de services par année dans la région de Montréal seulement, selon des calculs désormais célèbres du chercheur Jérôme Dupras.

Air frais, eau, lutte contre les changements climatiques, prévention des inondations, récréotourisme : les bénéfices sont très diversifiés.

Comment mieux protéger le territoire du Sud, où les nombreux usages entrent en collision ? La nouvelle Loi sur la conservation du patrimoine naturel apporte des pistes de solution, notamment en créant de nouveaux types d’aires protégées.

Mais il faut changer nos mentalités si on veut atteindre la cible de 30 % du territoire protégé d’ici 2030, qui devrait être officialisée sous peu par la communauté internationale.

Créer des incitatifs fiscaux pour que les propriétaires protègent leurs terres. Débloquer des sommes conséquentes pour l’acquisition de terrains (Québec a avancé 40 millions en ce sens, ce qui est à la fois bien… et trop peu). Réformer la loi sur l’expropriation pour que les municipalités puissent acquérir des terrains sans grever leurs finances.

Voilà quelques-unes des solutions avancées par un groupe de chercheurs qui proposent un véritable « Plan Sud » pour le Québec.

L’appellation est habile.

Le Québec a son Plan Nord pour briser la barrière géographique du développement économique. Il lui faut maintenant un Plan Sud pour briser celle de la protection du territoire.

Sinon, c’est un Québec coupé en deux qu’on risque de laisser en héritage.

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