Changer d’idée : les cégeps et la loi 101

Trois nouveaux arguments militent pour que le premier ministre François Legault change d’idée et décide d’appliquer la loi 101 aux cégeps. Le premier nous vient des profs des cégeps, le deuxième des démographes et le dernier de M. Trudeau.

Les profs de cégeps

Une vague de fond est venue de la base, de celles et ceux qui parlent aux jeunes tous les jours : les profs. Le 21 avril 2021, allant à l’encontre de leur syndicat national, les profs du cégep de La Pocatière prenaient position en faveur de l’application de la loi 101 au cégep. Dix-huit mois plus tard, les profs de 39 cégeps sur 48 demandent à Québec d’agir.

Grâce à leur mobilisation, coup sur coup, en septembre dernier, en pleine campagne électorale québécoise, les deux plus gros syndicats de professeurs de cégep, la FEC-CSQ et la FNEEQ-CSN, ont changé de position. Ils demandent dorénavant à Québec d’appliquer la loi 101 chez eux. C’est extrêmement rare que des leaders syndicaux se fassent désavouer par leur base. C’est d’autant plus rare que, pour arriver à ce résultat, les profs ont dû se mobiliser d’un bout à l’autre du Québec. Ils l’ont fait parce que la réalité linguistique des jeunes les inquiète.

Depuis quelques années, les jeunes arrivent déjà bilingues au cégep. On doit se réjouir de ce bilinguisme individuel, le problème n’est pas là.

Auparavant, les jeunes des cégeps francophones connaissaient la télé, la musique et le cinéma québécois, ne se parlaient pas en anglais entre eux et ne s’adressaient pas aux profs en anglais. Aujourd’hui, à cause des médias sociaux, de la musique anglaise, des plateformes cinématographiques américaines, etc., les jeunes sont en constante immersion anglaise et ils s’intègrent à l’univers culturel anglo-saxon⁠1 et les profs réagissent.

Les démographes

Le passage au cégep se produit à un moment crucial dans la vie d’un jeune. C’est la fin de l’enfance, le passage à l’âge adulte, les premiers choix de vie importants. C’est le moment où l’on commence à se préparer à entrer dans le marché du travail. C’est le moment où se cristallise l’identité. C’est l’étape où, grâce à la philosophie, à la littérature, à l’histoire, à la socialisation, on achève de s’inscrire dans la culture québécoise. Mais il y a péril en la demeure.

Nous le savons maintenant, peu importe l’indicateur utilisé, le français recule au Québec et continue de s’effondrer au Canada⁠2. Le réseau collégial n’y échappe pas.

Il y a 17,4 % d’anglophones sur l’île de Montréal, mais 48 % des diplômes de cégep y sont décernés en anglais. Plus spectaculaire encore : les deux tiers des places dans les cégeps anglophones sont occupées par des francophones. Corollaire : les cégeps anglophones manquent de places alors qu’il y a 20 832 places disponibles dans le réseau francophone (2019-2020). Finalement, 85 % des jeunes qui étudient en anglais au cégep poursuivent leurs études en anglais à l’université et ils ont 12 fois plus de chances de travailler en anglais que les autres jeunes3⁠.

Au moment où Camille Laurin proposait la loi 101, au foyer et à l’école, les enfants étaient immergés dans la culture française. Ce n’est plus le cas et les institutions québécoises doivent s’ajuster pour protéger notre tronc culturel commun. Il ne s’agit plus d’un choix individuel, mais bien d’un choix de société.

M. Trudeau

La réponse fédérale aux demandes du gouvernement du Québec en immigration a été aussi rapide que radicale. C’est non. Ottawa nous dit que le Québec a tous les moyens d’agir et, surtout, il ne fait preuve d’aucune sensibilité à ce qui préoccupe une bonne part des Québécois. Pas un mot sur les reculs du français, un dossier qui n’intéresse personne à Ottawa⁠4.

Cette réponse brutale du gouvernement canadien justifierait à elle seule que Québec change d’idée sur les cégeps et décide d’y appliquer la loi 101. C’est un outil puissant de protection du français, outil situé clairement dans nos champs de compétence.

Une majorité forte comme celle de la CAQ doit servir à quelque chose. Le « capital politique » est fait pour être dépensé. Le gouvernement du Québec devrait changer d’idée et appliquer la loi 101 aux cégeps. Il a toutes les raisons de le faire.

1. Lisez « Pour encore chanter ensemble »

2. Lisez « La place du français au Canada »

3. Regroupement pour le cégep français

4. Lisez un article de Radio-Canada

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