QUI ÉTAIT LE COMMANDANT MASSOUD ?

Chef légendaire et charismatique de la résistance afghane, Ahmad Shah Massoud se fait connaître dans les années 80 en combattant les Soviétiques qui occupent l’Afghanistan. Quand l’Armée rouge quitte le pays en 1989, l’influence de Massoud déborde largement les contours de sa vallée d’origine, le Panjshir, au nord de Kaboul. La guerre civile déchire le pays quand les talibans, venus du sud, s’imposent jusqu’à la capitale en 1996… avec l’appui d’Al-Qaïda et de son chef, Oussama ben Laden, ennemis de Massoud. Le commandant meurt assassiné par deux membres d’Al-Qaïda en 2001. Héros national pour les uns, Massoud reste un criminel de guerre pour d’autres, qui l’accusent d’avoir massacré des civils pour mieux asseoir son pouvoir.

AHMAD MASSOUD, L'HÉRITIER DU LION

Pour de nombreux observateurs, le 11-Septembre a débuté, en fait, deux jours plus tôt, le 9 septembre 2001. Ce jour-là, le commandant Ahmad Shah Massoud, légendaire seigneur de guerre afghan ennemi des talibans, a été assassiné par Al-Qaïda. Quinze ans et un long séjour à l’étranger plus tard, Ahmad Massoud, 27 ans, fils du commandant, rentre au pays dont il rêve de devenir le président avant ses 40 ans. Notre collaboratrice l’a accompagné dans ce périple, de Londres à Kaboul.

KABOUL, Afghanistan — La demeure ressemble à une miniature de la Maison-Blanche transformée pour un soir en paquet-cadeau. Une centaine de femmes attablées dans le jardin scrutent la terrasse drapée de longs rubans rouges. Au centre de l’alcôve, un couple trône. Ahmad Massoud, le torse bombé, tout sourire, passe l’alliance au doigt de Lili, belle comme une poupée de porcelaine aux cheveux blonds.

Tradition oblige, la mariée de 19 ans affecte la tristesse avant de passer l’alliance au doigt de son époux. La mère du marié, en habit blanc, dépose sur la tête de Lili le lourd voile de la mariée afghane : il est brodé d’or et de soie rouge sang. Les femmes applaudissent. La musique afghane résonne si fort qu’une invitée s’époumone pour quelques mots : « Certaines femmes ne sont pas très contentes ce soir. Elles sont un peu jalouses ! Oui, Ahmad, c’est vraiment la star, la grande star ! »

Ahmad Massoud, 27 ans, fils unique du commandant Ahmad Shah Massoud, vient d’épouser sa cousine adorée Lili Massoud. « Tant qu’Ahmad était célibataire, il ne pouvait pas être pris au sérieux, explique Laïs, un cousin. Il n’était pas considéré comme un homme. Le mariage était une étape obligatoire pour faire son entrée en politique. » 

Ahmad le fait, le soir même. Au regard de la tradition, son mariage est saugrenu : il n’a invité que 200 convives chez son oncle alors que les mariages ont habituellement lieu dans des palaces lumineux faits pour accueillir des milliers de personnes. Un vrai business. 

« Les mariages coûtent beaucoup trop cher par rapport au niveau de vie des Afghans, c’est scandaleux, détaille-t-il le lendemain. Soit les hommes n’arrivent pas à se marier, soit les familles s’endettent. Personnellement, je n’ai pas les moyens d’un grand mariage, alors je tiens à donner l’exemple. »

DE L’IRAN AU ROYAUME-UNI

Six mois plus tôt, nous avions rencontré Ahmad Massoud à Londres, où il terminait ses études. Il n’attendait que de rentrer en Afghanistan. « C’est le plus grand défi de ma vie. Je vois l’héritage de mon père comme une responsabilité envers mon pays », expliquait-il. 

« J’ai été élevé dans un seul et unique but : continuer le chemin tracé par mon père. Je vais passer ma vie à me préparer pour être un dirigeant, dans l’espoir que le peuple veuille de moi. »

— Ahmad Massoud

En guise d’héritage, Ahmad porte un mythe. Le 9 septembre 2001, son père a été abordé par deux kamikazes venus de Belgique, affiliés à Al-Qaïda. Ils se sont fait passer pour des journalistes pour faire exploser une bombe cachée dans leur caméra. Ahmad avait 12 ans. Après la mort de son père, il est parti avec ses cinq sœurs en Iran. « C’était trop douloureux car tout nous rappelait notre père… », se souvient le jeune homme. Ahmad a vécu une dizaine d’années loin des médias avant de prendre son envol pour le Royaume-Uni.

L’entourage proche d’Ahmad est composé d’Afghans de son âge, qui marchent tous dans l’ombre de leurs pères. Les anciens compagnons du commandant Massoud, des Tadjiks de sa province du Panjshir, ont envoyé leurs enfants étudier en Occident, comme dans une parenthèse de liberté. Ils se voient comme « la nouvelle génération afghane », celle de jeunes éduqués qui n’ont pas touché aux armes paternelles et veulent moderniser le pays. C’est une évidence pour eux : Ahmad est leur leader, comme s’il avait hérité de l’aura de son père. 

« Il a une vision pour l’Afghanistan. Il est inspirant, constate le calme Hedayat, étudiant en science politique. Yasser, troisième secrétaire à l’ambassade de l’Afghanistan, ajoute : « Nous l’admirons et attendons beaucoup de lui car un grand nombre de gens ont essayé d’imiter son père, sans succès. » 

L’ambition d’Ahmad n’égale que celle que son entourage attend de lui. « Il a une telle pression sur les épaules, estime Lili, qui habitait Londres avec sa famille. Parfois, je suis vraiment désolée pour lui. Les gens passent leur temps à le scruter et à le comparer à son père. Mais son père est né dans une époque différente, dans d’autres circonstances. Ahmad doit tracer son propre chemin. »

RETOUR AU PANJSHIR

Quelques jours après ses noces sous haute sécurité à Kaboul, Ahmad prend la direction du Nord, vers son fief, la province du Panjshir. En farsi, « Panjshir » signifie « cinq lions », d’où le surnom donné au commandant. En route, Ahmad détaille volontiers ses idéaux, sans prendre le temps de respirer : prendre son père en modèle, lutter contre la corruption rampante, construire un état de droit, défendre la démocratie, la paix, l’unité des ethnies… Il rêve d’être candidat à la présidentielle à 40 ans.

En attendant d’avoir les moyens de gouverner, le fils du Lion du Panjshir utilise son image. « De toute façon, je n’ai pas de vie privée », regrette- t-il. Il fait de chaque geste de sa vie personnelle un message politique. Comme avec son mariage, il veut servir d’exemple pour gagner le soutien de la population. Oui, il circule dans deux voitures blindées, mais elles ont été prêtées par des amis, pas payées par les deniers de l’État.

À travers les quartiers tadjiks de Kaboul, le jeune homme s’emporte contre les chauffeurs qui roulent comme des fous furieux au volant de quatre-quatre décorés du portrait de son père. « On abuse de son image pour être dans l’illégalité, alors que mon père n’était pas au-dessus des lois ! Ça me fait penser à la façon dont l’ancien gouvernement a échoué à reconstruire cette capitale, comment des milliards de dollars ont été détournés ! Les anciens dirigeants devraient avoir honte. J’aimerais en terminer avec ceux qui ne pensent qu’à leurs intérêts personnels. »

Arrivé à Jabal Saraj, un village à l’entrée du Panjshir, Ahmad s’arrête. Ses gardes du corps, les mêmes qui protégeaient son père, descendent en urgence. Le jeune homme entre dans le jardin d’une maison modeste, où il a vécu de 3 à 7 ans. « Ici, mon père faisait ses interviews… Là, on jouait. Et là-bas, vous voyez ? Des traces de shrapnel. »

Après le retrait des Soviétiques et la chute du régime communiste, les moudjahidines afghans forment un gouvernement d’union nationale, avec le commandant Massoud en ministre de la Défense. Le père d’Ahmad voit alors sa victoire tourner à la débâcle quand les factions échouent à se partager le pouvoir. Puis les talibans sont accueillis en sauveurs par une population exsangue et la famille se replie dans le Panjshir. « Rien que des rêves poussiéreux et brisés », articule-t-il au bord des larmes, avant de nous tourner le dos.

Dans la rue, le fils du Lion est entouré d’une dizaine de villageois éberlués. Tout le monde veut être pris en photo à ses côtés. Un vieil homme fond en larmes : « Tous les chefs passent sur la route, mais personne ne s’est jamais arrêté nous voir depuis la chute des talibans… » Ahmad salue les gens avec politesse.

« Les poids lourds de la politique vont voir Ahmad comme une menace. Et ses plus proches veulent déjà l’attirer chacun dans leur camp », analyse un ancien combattant proche de son père, maintenant exilé en Amérique. Mais Ahmad n’a pas l’ambition d’être un suiveur. « Le chemin sera difficile, c’est comme une montagne à porter. Pour un ami, nous avons mille ennemis, dit le fils du Lion. Il faudra faire attention. »

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