Des nouvelles de la « génération sacrifiée »

Le pire a été évité pour les élèves. On ne leur demandera pas de manquer encore plus de journées en classe pour permettre les partys de Noël. Mais le simple fait que cette option a été envisagée montre que l’école n’est pas notre grande priorité.

« L’école devrait être la dernière chose qui ferme. »

C’est la pédiatre Marie-Claude Roy qui parle.

Il y a un mois, l’Association des pédiatres lançait un cri d’alarme. La COVID-19 va créer une « génération sacrifiée », annonçait son communiqué.

Comme souvent, l’expression-choc a plus retenu l’attention que le contenu. Après avoir fait le tour des bulletins de nouvelles, 24 heures plus tard, le sujet était déjà oublié.

J’ai voulu faire un suivi.

« Comment vont vos patients, docteure ?

— Mal. »

« Plus de jeunes consultent et leurs troubles sont plus sévères », résume-t-elle. Par exemple, on voit de plus en plus de jeunes souffrant de troubles alimentaires qui sont tellement faibles à leur arrivée qu’on les envoie directement aux soins intensifs.

Elle le voit dans sa pratique. Et elle commence aussi à en mesurer les effets dans les premières études qui commencent à paraître sur les effets de la pandémie.

C’est chez les jeunes que la détresse psychologique est la plus grande. Cela s’observe ici comme dans d’autres pays.

Le taux de détresse a doublé chez les élèves du secondaire, selon une étude de l’Université de Sherbrooke.

Oui, je sais, l’expression « génération sacrifiée » est un peu forte… En effet, durant la Seconde Guerre mondiale, c’était bien pire. Moi aussi, je suis nostalgique de la belle époque où la jeunesse marchait dix kilomètres en souliers troués dans la neige pour aller à la petite école, avant de se nourrir de petite misère pour souper. C’était le bon vieux temps, on faisait des enfants forts ! Mais cela ne change rien aux problèmes du présent.

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Avec les journées manquées au printemps et l’enseignement à distance cet automne pour la 3e à la 5e secondaire, en plus des classes fermées lors d’éclosions, les dégâts de la COVID-19 sont bien concrets. Des enfants n’ont pas pu recevoir un repas à l’école, des signalements à la DPJ n’ont pas été faits et beaucoup ont poireauté devant leur écran au lieu de socialiser et de faire du sport organisé.

Pour les petits, le retard sera difficile à rattraper. Et pour les plus vieux, la glissade s’accélère vers le décrochage.

La Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement rapporte que le nombre d’élèves en risque d’échec aurait bondi dans le réseau secondaire public. Selon une consultation interne, ce taux serait de 30 %, alors qu’il était de 10 % à pareille date l’année dernière.

Cela ne surprend pas Catherine Haeck, professeure d’économie à l’UQAM, qui se spécialise dans l’éducation et le « capital humain ».

Les effets d’une pause ont été mesurés entre autres en Ontario, rappelle-t-elle.

Au retour du congé estival, les enfants de milieux favorisés y maintiennent ou augmentent leurs apprentissages, tandis que c’est le contraire dans les milieux défavorisés.

On peut présumer que de la même façon, les inégalités se sont creusées durant le confinement le printemps dernier.

L’enseignement à distance risque d’avoir un effet semblable. Malgré tous leurs efforts et leur dévouement, les profs peinent à offrir la même qualité d’enseignement.

La Dre Roy me parle d’une étude aux Pays-Bas, avec un vaste échantillon de 350 000 élèves du primaire qui faisaient l’école en ligne. On y a constaté de plus faibles progrès dans les apprentissages, ainsi qu’une hausse de l’écart entre élèves favorisés et élèves défavorisés.

« En Argentine, quand il y a eu des grèves d’enseignants, et donc une absence de cours, les effets s’observaient des années plus tard sur le marché du travail », ajoute Mme Haeck.

Même s’il faut être prudent avant de transposer ces constats pour le Québec, disons qu’ils ne sont pas encourageants.

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On ignore où en sera la pandémie l’hiver prochain. Mais si les cas remontent en flèche, la Dre Roy incite à la prudence avant d’accuser les écoles.

Elle rappelle que dans le Grand Montréal, le tiers des éclosions actuelles sont à l’école, soit autant que dans les milieux de travail. Et l’école n’est pas toujours la source des contaminations – les gens peuvent attraper le virus ailleurs puis le transporter dans les classes.

La tendance n’est pas qu’un enfant infecte ses parents et ses grands-parents. C’est plus souvent le contraire, note la pédiatre.

Ajoutons qu’un enfant est 70 fois plus à risque d’être hospitalisé pour des problèmes de santé mentale que pour la COVID-19.

Selon la Direction de santé publique de Montréal, environ 75 % des éclosions à l’école impliquent cinq personnes ou moins. Bref, elles sont contenues.

D’où la demande de la professeure Haeck et de la Dre Roy : ne touchez plus aux écoles, car les enfants ont déjà assez payé le prix.

Si les cas repartent en vrille durant l’hiver, c’est un message qu’il faudra répéter et répéter.

Tant qu’on songera à fermer les écoles avant les centres commerciaux, il sera difficile de se regarder collectivement dans le miroir en prétendant que l’éducation est la priorité.

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