Suppléments de mélatonine

« Ni un somnifère ni un médicament miraculeux »

Les suppléments de mélatonine pour traiter les troubles du sommeil ont gagné en popularité au cours des dernières années. Mais est-ce que leur consommation est sans risque ? Des professionnels de la santé en doutent.

« Les patients se font souvent dire par leur voisin, leur oncle ou leurs amis de l’essayer. Mais ce n’est ni un somnifère ni un médicament miraculeux. Les plus grandes études montrent que ça vient réduire le temps d’endormissement de 7 à 20 minutes. Ce n’est pas ça qui va venir régler votre trouble du sommeil », affirme d’emblée le pharmacien Yann Gosselin-Gaudreault.

Entre 2018 et 2022, le Québec a noté une croissance marquée des ventes de mélatonine. Pendant cette période, la valeur des ventes a augmenté de plus de 50 %, selon des données partielles de l’Association québécoise des distributeurs en pharmacie.

La mélatonine, une hormone sécrétée naturellement par le cerveau dans la noirceur, permet de préparer le corps à l’endormissement. Commercialisés à partir des années 2000, les suppléments de mélatonine, peu coûteux et naturels, semblaient la solution miracle contre les troubles du sommeil. Les études sur leur efficacité se sont toutefois avérées moins concluantes qu’anticipé.

Un impact positif de la mélatonine s’observe en lien avec le décalage horaire, les troubles du rythme circadien du sommeil ou pour réduire l’anxiété avant une intervention chirurgicale. Toutefois, il existe peu « de preuves solides sur son efficacité ou son innocuité » pour traiter l’insomnie chronique, déclarent sur leur site internet les Instituts américains de la santé.

Boom chez les enfants

Malgré ses effets limités, les ventes de mélatonine ont explosé au cours des dernières années. Ce fort engouement se fait également sentir chez les plus jeunes. Entre 2012 et 2021, les États-Unis ont noté une augmentation de 530 % de la consommation de mélatonine chez les enfants. Les experts consultés par La Presse ont également observé une tendance à la hausse chez les jeunes au Québec.

« Puisque la mélatonine est très accessible et qu’on en parle beaucoup, les gens ont tendance à en donner plus à leurs enfants. »

— Le Dr Christophe Moderie, résident en psychiatrie à l’Université McGill

Fraise, cerise, grenade : les suppléments de mélatonine se vendent en plusieurs formes, couleurs et parfums. Ils peuvent être attirants pour les tout-petits. Dans les deux dernières années, le Centre antipoison du Québec a noté une augmentation de 50 % de l’exposition à la mélatonine chez les enfants, avec 480 cas en 2019, 660 en 2020 et 720 en 2021. La moitié des cas étaient âgés de 5 ans ou moins. En 2022, moins de 1 % des cas rapportés ont été jugés modérés ou graves, et aucun n’a mené à un décès.

La mélatonine peut être bénéfique chez les petits, notamment chez ceux ayant des troubles du déficit de l’attention et des troubles du spectre de l’autisme. « Il faut toutefois garder en tête que la mélatonine peut contribuer à réduire les problèmes de sommeil chez les enfants, mais ne sera pas efficace dans toutes les situations », indique François P. Turgeon, professeur adjoint de clinique à la faculté de pharmacie de l’Université de Montréal.

Par ailleurs, la mélatonine étant une hormone, « il est possible que les suppléments de mélatonine affectent le développement hormonal, notamment la puberté, les cycles menstruels et la surproduction de l’hormone prolactine, mais nous n’en sommes pas certains », peut-on lire sur le site internet des Instituts américains de la santé.

Le DModerie recommande donc de ne pas administrer de mélatonine chez les jeunes avant d’avoir rencontré au préalable un pédiatre, un médecin de famille ou un professionnel de la santé.

Des doses très élevées

Contrairement au Canada, certains pays interdisent la vente sans ordonnance de la mélatonine, notamment la Suisse, le Danemark, la République tchèque et le Royaume-Uni. En Allemagne et en Belgique, la mélatonine est considérée comme un médicament à partir de 0,3 mg. En France, la réglementation autorise la vente libre de suppléments de moins de 2 mg de mélatonine par jour.

Les doses vendues au Québec sont souvent beaucoup plus élevées.

« On parle de dose de 5 à 10 mg. C’est beaucoup plus que ce qu’on sécrète de manière naturelle. »

— Le Dr Christophe Moderie, résident en psychiatrie à l’Université McGill

À son pic de production, soit au milieu de la nuit, notre cerveau produit plutôt 0,00006 mg de mélatonine par millilitre. « On n’est même pas dans la même unité de mesure », souligne le médecin.

Les études sur l’utilisation à long terme de la mélatonine demeurent limitées. « C’est un gros problème, surtout à des doses aussi élevées que l’on retrouve à la pharmacie », dit le DModerie.

Des étiquettes fiables… vraiment ?

Puisque la mélatonine est considérée comme un produit naturel plutôt qu’un médicament, il y a beaucoup de variabilité entre les différents comprimés, les différentes entreprises et les différents lots de production, indique le DModerie.

En 2017, une étude ontarienne a évalué 30 compléments commerciaux, comprenant différentes marques et formes vendues au Canada. La teneur en mélatonine dans les comprimés s’est avérée jusqu’à 478 % plus élevée que la teneur mentionnée sur l’étiquette.

Par ailleurs, la variation d’un lot à l’autre dans un produit donné pouvait atteindre 465 %. Pour les auteurs de l’étude, les fabricants doivent absolument renforcer les contrôles afin de s’assurer que les suppléments de mélatonine correspondent à ce qui est inscrit sur l’étiquette.

Une « solution facile »

La mélatonine est parfois « la solution facile » pour traiter les troubles du sommeil, observe le DModerie, qui recommande plutôt de favoriser les mesures comportementales. Il suggère notamment de ne pas utiliser d’appareils qui émettent de la lumière bleue, comme les téléphones intelligents ou les ordinateurs, au moins une heure avant de vous coucher, d’éviter la caféine dès l’après-midi et de faire de l’activité physique pendant la journée.

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