Opinion Christian Dufour

La nouvelle idéologie sanitaire

« Il faut respecter toutes les consignes, tout le temps, complètement. »

Martelé depuis des mois dans les médias, ce message jusqu’au-boutiste du gouvernement s’avère on ne peut plus clair. Il n’est pas question pour les Québécois de se permettre quelque écart que ce soit – de « tricher », selon l’expression convenue – en ce qui a trait aux consignes de la Santé publique.

10 000 $ d’amende !

C’est ce qu’ont appris récemment trois jeunes couples qui avaient eu l’impudence de se réunir dehors autour d’un feu de camp. Les policiers leur ont infligé une contravention de près de 10 000 $, leurs supérieurs ayant semble-t-il insisté pour que chaque personne – et non pas chaque couple – soit sanctionnée.

Et vlan ! 10 000 $ pour un feu de camp ! La plupart des Québécois ont sans doute trouvé cela bien correct, ce qui en dit long sur la pénétration de l’idéologie sanitaire dans notre société : « Cela leur apprendra à ces jeunes têtes brûlées qui savaient ce qu’elles faisaient, sans parler du danger qu’elles représentent pour la vie des autres. »

Qu’importe que le danger des feux de camp à six personnes dehors soit limité ! Qu’importe que les amendes en France pour de tels manquements soient 10 fois moindres ! La loi, c’est la loi. Et la loi dit qu’il faut proscrire les contacts sociaux, sans parler de notre obligation à tous d’être solidaires pour sauver des vies.

Cela m’a fait me souvenir de ce que m’avait répondu Louis Marceau, le premier protecteur du citoyen dont j’étais un jeune assistant, à qui j’avais soumis le refus (« C’est le règlement ! ») d’un fonctionnaire du ministère des Transports relativement à la plainte d’un citoyen contestant une expropriation abusive à sa face même : « Toute règle doit permettre une exception à partir d’un dossier documenté et sérieux, sinon ce n’est pas une bonne règle : l’exception confirme la règle. »

Complexité du réel

C’est dans le même esprit que j’ai souvent rappelé par la suite à mes étudiants que les idéologies constituaient de puissants moyens de comprendre le réel et d’agir sur lui, mais que toute idéologie poussée à bout devenait absurde et dangereuse, le réel étant par définition plus complexe qu’elle.

Mais revenons à nos moutons ! Un an après le début de la crise, une année pendant laquelle les médias n’ont pratiquement parlé que de cela, la réalité est que nous nous retrouvons tous changés collectivement et individuellement, entre autres parce que nous avons été pénétrés à des degrés divers par la peur.

Pendant que les experts prenaient de plus en plus de place, s’est graduellement imposée une nouvelle idéologie sanitaire dont le rapport avec la science est parfois ténu, chaque société gérant à sa façon l’universelle pandémie. C’est ainsi que le sacro-saint deux mètres devient un mètre en Europe, que les règles sur l’ouverture des écoles, commerces et restaurants varient d’un endroit à l’autre, etc.

Pendant des mois, cette doctrine s’est nourrie au Québec d’un unanimisme où toute critique à l’égard du gouvernement ou des consignes de la Santé publique faisait de son auteur au mieux un inconscient, un égoïste ou un irresponsable, au pire un dangereux complotiste ou trumpiste.

Alors que le réel dans sa complexité recommence heureusement à reprendre ses droits, il ne faut pas s’attendre à ce que les chantres de cette nouvelle idéologie sanitaire laissent facilement leur place.

Un Québec apeuré

Il va rester encore périlleux de contester quelque chose qui se veut essentiellement scientifique, sans parler du fait qu’on peut toujours trouver ailleurs dans le monde des exemples de restrictions dont la justification est de sauver des vies.

Qui peut être contre le fait de sauver des vies ?

Même quand le virus se sera estompé, il faut par ailleurs s’attendre à ce que la peur se maintienne un temps dans ce Québec du risque zéro et du principe de précaution tous azimuts, dont la population vieillissante est obsédée par la santé physique tout en étant incapable de donner quelque sens que ce soit à la mort.

L’arrivée de nouveaux virus ou de nouveaux variants n’est-elle pas possible, sinon probable ? L’efficacité des vaccins n’est-elle pas relative et limitée dans le temps ? Le port du masque n’est-il pas devenu une seconde nature pour bien de gens ?

On verra ce qu’il en sera quand on aura fini de vacciner les Québécois les plus susceptibles de mourir de la COVID-19 ou d’en développer les formes les plus graves. Même quand il n’y aura pratiquement plus de morts, combien s’en trouvera-t-il pour réclamer le maintien de mesures de restriction liberticides, mais sécurisantes auxquelles ils se sont habitués ?

On réalisera peut-être alors qu’il était plus facile de perdre nos droits et nos libertés que de les récupérer, dans un Québec apeuré où les amendes pour les feux de camp dehors battent tous les records.

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