Politique

Anatomie d’un « virage à droite »

Pour avoir de l’influence sur le gouvernement Trudeau, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a dû signer un accord de soutien jusqu’en 2025. Le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, fait beaucoup mieux : pour avoir de l’influence sur le gouvernement Legault, il lui suffit d’exister.

Le cochef de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, disait cette semaine que cela prouve un virage à droite qui se produirait actuellement au Québec, ce qui serait aussi, il faut le dire, tout à son avantage partisan.

Mais ce virage, s’il existe, est surtout causé par la peur du gouvernement de la CAQ de perdre les sièges de quelques-uns de ses trois ministres et six députés à Québec.

Les temps changent et la CAQ, qui était il y a quatre ans le parti le plus à droite sur la scène politique québécoise, est en train de se faire doubler sur ce terrain par le nouveau Parti conservateur. Et, quoi qu’ils en disent, cela semble terroriser pas mal de monde à la CAQ.

Le sondage mensuel de la firme Angus Reid, publié jeudi, illustre le phénomène. La CAQ, qui avait les voix de 50 % des électeurs décidés – donc sans répartition des indécis – il y a deux ans, n’en a plus que 33 %. Le Parti conservateur du Québec, qui n’existait pas il y a deux ans, serait à 19 % des décidés, au même niveau que le PLQ. Québec solidaire est stable à 16 % et le PQ ne pointe plus qu’à 9 %.

Les deux tiers des électeurs qui disent avoir voté pour la CAQ en 2018 le feraient encore. Mais 24 % ont dit aux sondeurs qu’ils pourraient voter conservateur. Pour un parti comme la CAQ qui n’a jamais vu sa cote baisser de façon importante depuis le début de son mandat, c’est un signal d’alarme. Et il y en a d’autres.

Quand on demande si le gouvernement actuel fait du bon travail, il y a plus de satisfaits que d’insatisfaits pour la gestion de la pandémie, l’économie, le chômage et le déficit. Mais pour toutes les autres fonctions de l’État, il y a plus d’insatisfaits que d’électeurs satisfaits. Ça inclut l’éducation, les soins de santé et la pauvreté. Et sur les dossiers des soins pour les personnes âgées et du logement abordable, les insatisfaits sont à hauteur de 72 %.

Ce sondage montre que les électeurs voient de nombreux manquements dans la gestion du gouvernement caquiste. Mais ça n’explique pas pourquoi le gouvernement caquiste voit le chef conservateur dans sa soupe et semble avoir décidé de l’égaler sur le terrain du populisme de droite.

Il faut dire que M. Duhaime maîtrise l’art d’être le caillou dans le soulier de la CAQ. Quand il demande soit un référendum, soit un moratoire (il a fait les deux…) sur le projet de tramway à Québec, il vise exactement la clientèle qui serait prête à abandonner la CAQ. Le tout ciblé vers la grande région de Québec, là où les conservateurs ont le plus de chances de gagner des sièges et où plusieurs radios se font ses relais fidèles.

Cela démontre aussi un changement de tactique de la part d’Éric Duhaime, qui, jusqu’ici, s’était largement contenté de surfer sur le mécontentement à propos des mesures sanitaires, ce qui permettait de penser que ses appuis allaient nécessairement redescendre au fur et à mesure que ces mesures seraient abandonnées. Ce n’est pas en train d’arriver.

La menace est donc réelle pour la CAQ, mais ce qui étonne, c’est la manière dont elle y répond. Tout en disant avec satisfaction qu’elle n’a rien à craindre parce qu’elle occupe le centre, la CAQ, ces jours-ci, fait surtout surenchère avec les conservateurs.

Quand il est arrivé au pouvoir, le gouvernement Legault avait causé la surprise avec un premier budget que certains avaient même qualifié de social-démocrate. C’était la meilleure façon de montrer que, contrairement à ce que certains pourraient croire, la CAQ n’allait pas démanteler l’État et que le « modèle québécois » lui convenait plutôt bien.

Mais quand on écoute des ministres s’en prendre aujourd’hui à des projets comme le tramway de Québec, la CAQ souligne à gros traits combien l’environnement reste son angle mort et elle contribue à ce virage à droite.

Déjà que le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a affirmé sans rire, cette semaine, que le troisième lien était un projet qui allait prévenir l’étalement urbain – il faut quand même le faire ! –, il ne faudrait pas, en plus, tuer le premier projet structurant de transport en commun qu’ait connu la ville de Québec.

Surenchérir avec Éric Duhaime est un jeu dangereux. Parce qu’en politique, lorsque les électeurs ont le choix entre l’original et la copie, ils choisiront souvent la première option.

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