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Le Québec, royaume de l’internet à bas prix

Nous sommes en 2023. Toutes les provinces au Canada ont vu le prix relatif de l’internet grimper depuis deux décennies. Toutes ? Non. Seul le Québec a résisté à la vague, selon Statistique Canada.

C’est un des constats étonnants qui se dégagent de la compilation qu’a effectuée La Presse de l’indice des prix à la consommation. Depuis 2002, première année où Statistique Canada a introduit le prix des « services d’accès à l’internet » dans son panier de dépenses pour les ménages, les Canadiens paient 24,3 % de plus pour leur internet. L’Ontario est dans la bonne moyenne avec une hausse de 22,6 %. Les plus durement frappés à cet égard sont les ménages en Alberta (+83,3 %) et en Colombie-Britannique (+85,2 %).

Au Québec ? En termes d’indice des prix, qui tient compte de l’inflation et de l’évolution des forfaits, le coût de l’internet a baissé de 25,9 % depuis 2002. C’est à partir de 2010 que l’écart a réellement commencé à se creuser avec les autres provinces.

Impossible d’identifier un élément déterminant. Quatre ans plus tôt, Maxime Bernier, ministre de l’Industrie dans le gouvernement Harper, avait émis une directive au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) aujourd’hui considérée comme peu propice à la concurrence. Elle faisait la promotion des « forces du marché » et des investissements dans les infrastructures.

Méthodologie à défendre

Le constat laisse quelque peu perplexe Pierre Larouche, professeur de droit de la concurrence à l’Université de Montréal et observateur attentif de l’industrie des télécommunications. Il s’interroge sur la fiabilité des comparaisons des forfaits internet, qui ont énormément évolué depuis 2002. Fait inusité, Statistique Canada a publié un document de 14 pages résumant dans le détail sa méthodologie pour établir les prix des services d’accès à l’internet1. On défend l’exercice, basé sur une méthodologie complexe de suivi des forfaits d’un mois à l’autre.

« La taille de l’échantillon n’est pas fixe et se règle automatiquement en fonction de l’entrée de nouveaux forfaits et la sortie d’anciens », explique un porte-parole de Statistique Canada par courriel.

Un survol des tarifs internet proposés sur les sites des principaux fournisseurs le confirme : on ne paie souvent pas le même prix d’une province à l’autre. Ainsi, en date du 20 mars dernier, le tarif régulier du forfait Fibe Gigabit 3.0 de Bell en Ontario est de 135 $ par mois. Au Québec, il est de 90 $. Il n’a pas été possible d’obtenir les explications de Bell.

Convergence à la rescousse

Pour Pierre Larouche, il pourrait s’agir d’une autre illustration de la concurrence « agressive » de Vidéotron au Québec, dont les effets sont bien connus pour le service sans fil, et qui engendre des guerres de prix. L’entreprise appartenant à Québecor est pourtant un fournisseur internet depuis 1995. Pourquoi l’écart n’aurait-il commencé à se creuser qu’en 2010 ? Et pourquoi les autres provinces où la câblodistribution est bien présente n’ont-elles pas profité aussi de la concurrence entre deux grands fournisseurs ?

Deux indices possibles : c’est en 2010 que Vidéotron a lancé deux produits importants, IllicoWeb et, surtout, son service sans fil.

« C’est difficile à dire, répond M. Larouche. Je me demande si la réponse n’est pas à chercher du côté des stratégies de contenu. »

« Au Québec, nous avons deux concurrents qui ont du contenu ; ça donne une concurrence assez sérieuse entre deux fournisseurs. »

— Pierre Larouche, professeur de droit de la concurrence à l’Université de Montréal et observateur attentif de l’industrie des télécommunications

Selon son rapport annuel 2022, Bell Média compte 66 chaînes de télé spécialisée, généraliste ou payante et 109 stations de radio au Canada. Québecor, concentrée au Québec, compte notamment le plus important télédiffuseur de la province, TVA, sept chaînes spécialisées, des services de production cinématographique et audiovisuelle et le service de vidéo à la demande Club Illico. Les deux offrent généralement leur service internet combiné à d’autres services.

La stratégie de convergence comme la pratiquent Bell et Québecor a pourtant perdu des plumes ailleurs dans le monde, notamment en Europe, s’étonne Pierre Larouche. « J’ai toujours pensé que la stratégie de convergence fonctionne encore au Canada, alors que ç’a échoué ailleurs. Je me demande si, d’une certaine manière, on est plus avancé dans ce phénomène au Canada anglais, où il y a moins d’intégration verticale […]. Ce serait une piste. Elle contredirait un peu mon analyse, mais ce n’est pas grave, ce sont les faits qui parlent. »

Le Québec semble par ailleurs avoir vu naître bien plus de fournisseurs internet indépendants que dans les autres provinces. Une comparaison tirée du site PlanHub.ca, sans prétention scientifique, l’illustre.

Et pourtant, ils montent…

L’indice des prix à la consommation ne dit pas tout. Celui-ci tente de comparer des forfaits similaires au fil du temps, mais ne tient pas compte de ce que les ménages paient effectivement pour leur service internet. Or, au Québec comme dans les autres provinces, les consommateurs paient plus pour leur internet depuis 2010, première année de disponibilité de cette donnée dans l’Enquête sur les dépenses des ménages menée par Statistique Canada.

De 358 $ par année en 2010, les dépenses pour se brancher à l’internet ont grimpé jusqu’à 620 $ au Québec. La hausse cependant moins forte que dans les autres provinces.

Comment justifier cette hausse des dépenses alors que l’indice des prix à la consommation indique une baisse ? Le paradoxe n’est qu’apparent. C’est que les consommateurs, québécois et canadiens, consomment plus de données et recherchent des vitesses supérieures, rappelle Nadir Marcos, PDG de PlanHub.ca, un outil de comparaison des prix de services de télécommunications. Un peu comme si on profitait d’une baisse du prix de l’essence pour passer d’une Corolla à un Dodge RAM. Le même phénomène a été noté pour les services sans fil. « Même si les vitesses proposées par les fournisseurs sont plus élevées, ça ne veut pas dire qu’on en a vraiment besoin, rappelle-t-il. Il faut revenir aux bases, faire un exercice de magasinage, on ne peut pas se tromper avec ça. »

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