Gestion des écrans : comment reprendre le contrôle ?
Le documentaire The Social Dilemma, diffusé sur Netflix, combiné à la publication cet automne, au Québec seulement, de trois ouvrages traitant des effets néfastes des écrans ramènent le sujet dans les foyers. Si, pendant les premières semaines de la pandémie, tous s’accordaient pour dire qu’il était acceptable de jeter du lest, étant donné le caractère exceptionnel de la situation, la fin de la récréation a sonné.
« C’était une période charnière », rappelle Linda Pagani, professeure à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal et chercheuse au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine. « On ne savait pas combien de temps durerait le confinement. Et c’est toujours la période de choc qui arrive après un évènement qui était si imprévu. Il y a deux ou trois semaines où les gens ont de la difficulté à gérer le stress de l’imprévu. [...] Maintenant, on doit refréner un peu la question des écrans. On n’est pas dans la période d’adaptation. Ce n’est plus un choc. »
« Les écrans ont servi d’activité principale et c’était même encouragé par le gouvernement qui voulait que les gens quittent les lieux publics pour demeurer à la maison », souligne Marco Mailhot, psychoéducateur au Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides, qui présente des conférences sur la cyberdépendance dans les écoles. « C’est difficile pour les adolescents. J’en ai deux. L’approche se veut la moins culpabilisante possible, mais on peut essayer de mieux équilibrer notre choix d’activités. »
Il n’y a actuellement pas de données disponibles sur le temps qu’ont passé les enfants québécois à se divertir devant un écran pendant le Grand Confinement. Toutefois, à un sondage réalisé par Statistique Canada entre le 29 mars et le 3 avril 2020, les trois quarts des Canadiens âgés de 15 à 49 ans ont répondu passer plus de temps sur l’internet qu’avant, 66 % ont dit consacrer plus de temps à regarder la télévision et 35 % à jouer à des jeux vidéo.
Dans le document « L’utilisation des écrans en contexte de pandémie de COVID-19 – quelques pistes d’encadrement », publié en juin dernier, l’Institut de santé publique du Québec avance que « l’augmentation du temps d’écran chez les adultes pourrait avoir une influence sur le temps d’écran des enfants et des adolescents ».
Avant la pandémie, les adolescents passaient en moyenne 4,9 heures par jour devant un écran, à naviguer sur l’internet, regarder la télévision ou jouer à des jeux vidéo, selon une vaste étude réalisée auprès de 40 000 adolescents canadiens, publiée en 2019.
Selon la psychologue clinicienne Marie-Anne Sergerie, auteure du livre Cyberdépendance : Quand l’usage des technologies devient problématique, le temps d’écran n’est cependant pas le seul élément à prendre en compte dans le développement de saines habitudes.
« L’idée n’est pas de démoniser les technologies, mais de s’intéresser à ce que nos enfants font pour les aider à développer des comportements responsables ne serait-ce que comment échanger avec les autres en ligne, faire attention à ce qu’on publie. C’est quelque chose de plus large que le temps. »
— Marie-Anne Sergerie
« Il n’est jamais trop tard pour remettre un cadre et redéfinir un usage », ajoute la psychologue.
Voici cinq conseils d’experts
Combien de temps vos enfants et vous (oui, il faut montrer l’exemple !) passez en moyenne chaque jour devant un écran, pour vous divertir ? Sur bon nombre de téléphones, il est possible de voir combien de temps vous passez sur votre appareil, la fréquence à laquelle vous le déverrouillez et la durée d’utilisation de chaque application. Le psychoéducateur Marco Mailhot demande souvent aux adolescents qu’il rencontre de faire l’exercice. « La plupart d’entre eux ne connaissent pas cette fonction sur leur cellulaire et sont surpris quand on regarde les chiffres ensemble, dit-il. Ils sont tous certains qu’ils n’ont pas consommé autant que les chiffres leur disent. »
Une fois le diagnostic posé, discutez avec les plus vieux de la cible à atteindre. « Demandez au jeune : qu’est-ce que tu considérerais comme acceptable ? suggère Marco Mailhot. Souvent, ils sont assez raisonnables. C’est de l’appliquer par la suite qui est difficile. Mais si on a eu leur collaboration pour fixer les limites, c’est plus facile ensuite d’établir le cadre avec eux. »
Une fois un budget d’heures et les règles préétablies (par exemple, pas d’écrans avant le coucher, pas d’écrans à table, etc.), on laisse l’adolescent évaluer quelles stratégies il peut utiliser pour respecter ses heures. Une minuterie ? Un logiciel de contrôle ? Des applications comme Moment (iPhone) et Space – Break phone addiction (iPhone et Android) permettent de gérer l’usage de son téléphone et de se fixer des objectifs. « Ce n’est pas quelque chose que l’enfant va faire tout seul, souligne Marie-Anne Sergerie. Ça demande que le parent l’accompagne là-dedans, à ce qu’il soit accompagné dès le plus jeune âge. Éventuellement, il réussira à le faire lui-même. »
Pour les plus jeunes, on peut utiliser un système de jetons ou de billes pour matérialiser le temps alloué pour les écrans. Par exemple, un jeton peut représenter une période de 15 minutes que l’enfant peut décider d’utiliser quand il le veut, à l’intérieur du cadre fixé par le parent.
« Si vous ne deviez retenir qu’une seule des mesures proposées dans ce livre, que ce soit celle-là ! », écrit la pédopsychiatre Victoria Dunckley dans son ouvrage Enfants difficiles, la faute aux écrans ?, dont la traduction française vient de paraître chez Écosociété. Cette règle permet de mieux contrôler l’usage des écrans à la maison et ainsi d’éviter qu’ils le soient avant le coucher et perturbent le sommeil.
Avec l’arrivée de l’automne et le retour au confinement pour certaines activités, il peut être tentant de se tourner vers la télévision, les réseaux sociaux et les jeux vidéo comme remède à l’ennui. « Il faut s’occuper autrement », insiste Marco Mailhot. Si le parent suggère une activité autre à son enfant, il sera plus facile de détourner son attention de l’écran. Et éventuellement l’amener à apprivoiser l’ennui.
« On veut des enfants qui sont capables de se débrouiller, insiste Linda Pagani. On devrait passer du bon temps ensemble. Aller faire des marches, jouer au basket avec notre cellule. Il faut juste être créatifs. »
Temps d’écran recommandé
Enfants de moins de 2 ans : aucun temps d’écran
(source : Société canadienne de pédiatrie)
Enfants de 2 à 5 ans : moins d’une heure par jour
(source : Société canadienne de pédiatrie)
Enfants de 5 à 17 ans : moins de 2 heures par jour
(source : Société canadienne de physiologie de l’exercice)