Charles Aznavour 1924-2018

Un monument de la chanson française s’éteint

Rien ne prédestinait Charles Aznavour à être la légende de la chanson française qu’il est devenu au fil de ses 70 ans de carrière. Du haut de son mètre soixante-quatre, doté d’un physique assez banal, le grand Charles défie ses professeurs de musique, qui lui ont déconseillé de chanter à cause de son timbre de voix atypique, tout comme Édith Piaf, qui n’a pas hésité à lui dire qu’il ne ferait jamais rien avec ses chansons… Retour sur le formidable destin de Charles Aznavour, de Montréal à Paris en passant par New York.

Il y a 16 ans, Charles Aznavour se lançait dans une tournée d’adieu comprenant un arrêt à Montréal le temps de 11 représentations. Un ultime tour de chant qui n’aura jamais véritablement pris fin pour le chanteur qui foulait il y a quelques semaines encore les scènes du Japon, après avoir annulé ses spectacles de l’été à cause d’une fracture à un bras.

« C’est un choc d’apprendre son départ, a confié à La Presse la chanteuse Lynda Lemay, émue. Je venais de voir notre ami commun, Gérard Davoust, qui est aussi mon éditeur. Il me donnait des nouvelles de Charles, qui revenait du Japon. Il me disait à quel point ça s’était bien passé, que malgré son bras cassé, il avait fait ses spectacles avec toute sa fougue, sa jeunesse éternelle, son énergie et son humour », raconte la chanteuse que Charles Aznavour avait prise sous son aile. 

« Savoir qu’il est parti avec toute sa dignité et qu’il a fait ce qu’il aimait jusqu’au dernier moment, avec cette flamme-là dans ses yeux, c’est la façon de partir la plus souhaitable. » 

— Lynda Lemay, chanteuse

Lors de son dernier passage à Montréal, tout juste avant de se produire au Centre Bell en 2016, Charles Aznavour nous confirmait avoir pris sa retraite. « Je ne m’occupe plus de rien ! Je viens, je chante et je m’en vais. Je suis un oiseau ! », nous a-t-il lancé en riant, confortablement assis dans la suite d’un hôtel de la rue de la Montagne. Dans une forme olympienne à 92 ans, l’auteur-compositeur et interprète au millier de chansons était sur le point de poursuivre sa route vers Miami, Los Angeles, Lisbonne et Moscou.

Dans la nuit de dimanche à lundi, le monument de la chanson française s’est éteint à 94 ans, à son domicile des Alpilles, dans le sud de la France, avec un agenda encore rempli de dates de concerts, à Bruxelles et à travers la France. Rattrapé par son âge, l’infatigable Charles Aznavour aura su traverser les époques sans jamais s’essouffler artistiquement.

Le succès de la persévérance

Né le 22 mai 1924, à Paris, de parents arméniens, Shahnourh Varinag Aznavourian aura travaillé fort pour se faire un nom. En décembre 1948, il débarque à Montréal avec son complice Pierre Roche, d’abord au Quartier latin à L’Ancienne-Lorette, chaudement recommandé par Édith Piaf, puis au Faisan doré à Montréal, sans oublier un petit crochet par le populaire cabaret Chez Gérard à Québec, sur la recommandation cette fois de Charles Trenet. Alors que le duo se sépare après 40 semaines à Montréal, le chanteur méconnu mais auteur apprécié écrit Je hais les dimanches pour Juliette Gréco et de nombreuses chansons pour plusieurs artistes. Après un spectacle triomphal à l’Olympia, Aznavour loue le Carnegie Hall de New York le 30 mars 1963, où la critique l’encense. Le chanteur lance alors son premier disque en anglais, The Time Is Now, sous étiquette Mercury dont le directeur artistique est Quincy Jones.

Sacré « plus grand chanteur du XXe siècle » (devant Frank Sinatra ou Elvis Presley), selon un palmarès établi en 1998 par CNN et Time Magazine, Charles Aznavour a d’ailleurs son étoile sur Hollywood Boulevard. Il est le seul Français sur le prestigieux « Songwriters Hall of Fame ». Alors qu’il rencontre Liza Minnelli au milieu des années 60, Charles Aznavour montera sur les planches à ses côtés au début des années 90 à Paris, mais aussi à Montréal en 1993.

Pour l’amour du Québec

On ne compte plus le nombre de spectacles du grand Charles au Québec, qu’il s’amuse à baptiser « sa première maîtresse » en entrevue. En 2005, le citoyen d’honneur de la Ville de Montréal (2002) récidivait avec un « autre » dernier tour de piste, dont le coup d’envoi a été donné au Québec. Aznavour revient dans la Belle Province pour célébrer le 400e anniversaire de la ville de Québec et être investi à titre honorifique au sein de l’Ordre du Canada en lançant : « L’Arménie est mon âme et le Québec est plutôt mon cœur. »

En 70 ans de carrière, Charles Aznavour a uni sa voix à de nombreux chanteurs québécois, que ce soit Céline Dion, Gilles Vigneault ou Isabelle Boulay. Éditeur des chansons de Félix Leclerc, il a aussi composé un des plus grands succès de Ginette Reno. 

« C’est lui qui a écrit la musique de L’essentiel. Je lui en serai reconnaissante toute ma vie. Tout simplement. »

— Ginette Reno, à La Presse par écrit

« J’ai eu le plaisir dernièrement de m’asseoir avec lui, à rire et à jaser pendant quelques heures lors de son dernier passage à Montréal. J’ai eu bien du fun avec lui ! Charles Aznavour était grand dans son art. Très grand. Et il a prouvé qu’il était un grand artiste jusqu’à la fin de sa vie… C’est impressionnant ! » ajoute Mme Reno.

Robert Charlebois a quant à lui partagé 50 ans d’amitié et de souvenirs avec le chanteur. « En plus d’être mon parrain de show-business, il était pour moi un modèle d’écriture, de présence sur scène et de persévérance. Avec sa voix un peu éraillée dont les gens se moquaient au début de sa carrière, il a fini par bouleverser une planète entière et on a raison de le proclamer artiste le plus important du XXsiècle. On rêve tous secrètement de faire une longue carrière comme lui », a tenu à exprimer Robert Charlebois à propos de l’artiste qu’il a vu sur scène le plus souvent dans sa vie.

« La musique et le cinéma sont en deuil. Il a beaucoup donné aux gens », considère pour sa part Diane Dufresne, que Charles Aznavour considérait comme « un des talents les plus surprenants et authentiques ». Il était d’ailleurs venu applaudir la chanteuse lors de son spectacle au Forum de Montréal le 9 novembre 1980.

L’animatrice Monique Giroux a rencontré Aznavour au milieu des années 90 à Radio-Canada. Au fil des années et des entrevues, elle a eu la chance de découvrir le chanteur sous toutes ses coutures. « Que ce soit à l’Olympia ou au Centre Bell, je me souviens de sa Rolls-Royce blanche et de toute l’équipe qui l’attendait, et du public qui voulait avoir ses 10 secondes d’Aznavour. C’était d’autant plus touchant que j’avais le plaisir de connaître l’homme, de le voir dans son armure de star qu’il portait très élégamment, tout en sachant que derrière, il y avait Varinag Aznavourian, un monsieur Charles papa, mari et ami, qui était quelqu’un de bienveillant. Je ne l’ai jamais entendu dire un mot contre quiconque », se souvient Monique Giroux.

Un homme généreux

Petit protégé d’Édith Piaf, Charles Aznavour a lui aussi pris sous son aile certains artistes, dont Lynda Lemay, pour qui il a eu un véritable coup de foudre professionnel en l’entendant se produire au Festival de jazz de Montreux en 1996. « On a eu une relation de confiance, de respect et d’admiration mutuelle. Je n’arrive pas à croire qu’il m’ait accueillie dans sa famille d’auteurs. Au fil des années, il a fait preuve avec moi d’une générosité extraordinaire. Il se déplaçait pour venir me voir en spectacle. Cette relation n’a pas de prix, je n’arrive même pas à croire que c’est vrai. C’est touchant que ce grand homme de la chanson me fasse cette place dans son cœur. Il avait toujours cette envie de partager cette passion-là pour la musique avec moi et d’en parler », a confié à La Presse Lynda Lemay.

En 2013, lors d’un voyage au Québec pour se produire à l’International de montgolfières de Saint-Jean-sur-Richelieu, Charles Aznavour va également tendre la main à Paul Daraîche.

« On est allés le rencontrer avec ma femme et Mario Pelchat dans son motorisé. Il était très disponible, au bout de 10 minutes, il s’est mis à nous partager ses souvenirs au Faisan doré avec Jacques Normand tout en chantonnant et en pianotant. On avait découvert une chanson de Noël country d’Aznavour, Noël au saloon, Mario lui a demandé de chanter avec moi sur mon album de Noël. Je suis parti à Paris pour enregistrer avec lui en 2013. C’était un vrai rêve ! », se souvient Paul Daraîche.

Un artiste engagé

Avec Garvarentz, Aznavour écrit et enregistre en avril 1975 Ils sont tombés pour commémorer le génocide du peuple arménien. Puis en 1988, il crée le mouvement Aznavour pour l’Arménie, à la suite du tremblement de terre survenu dans le pays d’origine de ses parents. Quatre-vingt-neuf artistes enregistrent avec Aznavour la chanson Pour toi Arménie, qui se vend à plus de 1 million d’exemplaires.

« Il était très attaché à ses origines arméniennes. Un des moments les plus forts que j’ai eus avec lui a été de chanter avec lui, sur la place de l’Indépendance en Arménie, Quand tu m’aimes, qu’on avait enregistré en 2004 », se rappelle Isabelle Boulay. « On perd encore un grand maître. Il n’en reste pas beaucoup, des gens comme ça ! », ajoute-t-elle.

Au-delà de son engagement pour la reconnaissance du génocide en Arménie, Charles Aznavour a également marqué les époques avec les textes de ses chansons.

« Il a été un des premiers si ce n’est le premier à chanter à la première personne, à incarner les personnages de ses chansons. Il ne chantait pas sa vie. Il a interprété Comme ils disent, mais n’était pas homosexuel. C’était formidable d’oser le faire ! Il a fait de grandes choses par ses chansons. Il nous a sensibilisés. Il accompagnait tout le monde, des plus lettrés aux moins lettrés », conclut Monique Giroux.

Charles Aznavour

1200 chansons écrites dans 8 langues différentes

180 millions d’enregistrements vendus dans le monde entier 

80 films dans lesquels il est apparu

70 ans de carrière

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.