Chronique : Langue française

La thèse du déclin

Toutes les statistiques que l’on peut publier sur la situation linguistique au Québec décriront inévitablement une réalité incontournable, le fait que le poids relatif des francophones baisse à mesure que le poids des immigrants augmente.

Les projections démographiques publiées jeudi par Statistique Canada ne font pas exception. La proportion de Québécois de langue maternelle française passera de 78,9 % en 2011 à 70,1 %, en 2036. Cela décrit une évidence mathématique : s’il y a davantage d’immigrants qui ne sont pas des francophones, la proportion de ceux dont la langue maternelle est le français ne peut que baisser.

La baisse relative du poids des populations de souche s’observe dans toutes les sociétés industrialisées.

Elle prend évidemment un accent particulier au Québec, en raison de la relative précarité de la situation linguistique du français. C’est ce qui amène à peu près tout le monde à décrire ce phénomène comme un déclin.

Le terme est incorrect sur le plan démographique, et détestable sur le plan politique. Pas parce que je suis un jovialiste, mais parce que les mots ont un sens. Déclin, c’est un mot fort, qui décrit une descente, ou le début de la fin. Si vous croyez que le français est voué à une lente disparition au Québec, parlez de déclin.

Mais si vous croyez à sa vitalité et à sa capacité à résister aux pressions, trouvez un autre mot. Le mot déclin, lourd de sens, reflète une conception passéiste, celle d’un Québec français qui ne peut survivre et prospérer que dans un univers statique en marge des transformations de la planète. Il mène à une seule conclusion : que l’avenir du français est incompatible avec l’immigration, sauf celle de vrais francophones, comme les Français ou les Wallons.

Les chiffres les plus spectaculaires, que l’on cite sans cesse, portent sur l’île de Montréal. Selon Statistique Canada, la proportion des habitants de langue maternelle française va poursuivre sa baisse : de 48 % en 2011, elle passera à 42 % en 2036. Elle ne se fera pas au profit de l’anglais, qui baisse aussi, de 18 % à 15 %, mais au profit des autres langues, en forte progression, de 34 % à 43 %. Même chose pour la langue le plus souvent parlée à la maison : de 54 % à 49 % pour le français, de 25 % à 23 % pour l’anglais, mais de 21 % à 28 % pour les langues tierces.

L’écart entre l’île et le reste du Québec s’explique par la concentration des nouveaux venus dans la métropole et par la tendance des francophones de quitter l’île pour les banlieues, qui restent très largement francophones.

Mais avant de grimper aux rideaux, il faut se rappeler qu’on ne peut pas additionner les anglophones et les allophones pour conclure que les francophones sont minoritaires. D’abord, parce qu’un changement du poids relatif du français par l’immigration n’est pas une menace si la baisse de proportion du français ne se fait pas au profit de la langue qui peut mous menacer, l’anglais, mais de la multitude de langues parlées par les nouveaux venus. Ensuite, parmi ceux qui sont officiellement des allophones – ceux qui ont une autre langue maternelle ou qui parlent une autre langue que le français ou l’anglais à la maison –, on retrouve une forte proportion de citoyens francophones, comme les Haïtiens qui parlent créole à la maison ou les Maghrébins qui parlent arabe.

La meilleure façon d’évaluer la santé du français, c’est la langue d’usage, celle que les gens parlent le jour, dans la rue, au travail, dans les magasins, qu’on ne retrouve pas dans cette enquête de Statistique Canada et qui est plus difficile à mesurer.

L’autre chose à regarder, c’est le choix linguistique que feront ces allophones, au terme d’un processus qui s’étale le plus souvent sur une ou deux générations. Le véritable enjeu est là.

Selon l’organisme fédéral, en 2011, 52 % des transferts linguistiques des allophones du Québec s’étaient faits vers le français, une proportion bien faible quand on sait que les francophones comptaient pour environ 80 % de la population. Cela s’expliquait en bonne partie par le fait que ces transferts étaient souvent déterminés par des processus enclenchés des décennies plut tôt.

Mais l’étude ajoute que, pour l’île de Montréal, là où ça se passe, d’ici 2036, les deux tiers des transferts linguistiques se feront vers le français.

Un renversement significatif qui tient à la sélection des immigrants et des mesures d’intégration, comme la loi 101.

On peut ensuite se demander si, malgré les progrès accomplis, ce taux de transfert est suffisant, s’il devrait être plus élevé, pour correspondre, par exemple, au poids démographique des francophones.

Il y a là matière à réflexion et à débat. Mais il n’aura pas l’intensité dramatique des réactions suscitées par les chiffres qui nourrissent le mythe du déclin. Et c’est un enjeu pour lequel nous avons des solutions, si nous choisissons d’intensifier les mesures d’intégration et d’attractivité du français.

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