PREMIER DÉCÈS AU QUÉBEC

LE SPECTRE D’UN FOYER D’ÉCLOSION

La résidence Eva de Lavaltrie est-elle en voie de devenir un foyer d’éclosion de la COVID-19 ? Après le décès de Mariette Tremblay, une femme de 82 ans qui y habitait, quatre autres cas de résidants sont actuellement sous investigation par les autorités de santé publique.

Si l’un de ces cas se révélait être également une infection à la COVID-19, on pourrait parler d’un foyer d’éclosion. Des situations semblables sont survenues en Colombie-Britannique, où six personnes ont perdu la vie dans une résidence pour personnes âgées, et aussi dans l’État de Washington, où 35 personnes âgées sont mortes dans une même résidence.

Selon nos informations, la Direction de santé publique (DSP) est toujours en attente de résultats pour les quatre autres résidants qui présentaient des symptômes de la maladie. Entre-temps, on suit minutieusement l’état de santé de la totalité des résidants des 156 unités de l’endroit.

Un appel est fait à chacun d’entre eux, de façon quotidienne, pour leur demander s’ils présentent des symptômes, indique Hélène Gaboury, porte-parole du CISSS de Lanaudière. « Tous les résidants sont en isolement pour 14 jours. Les consignes de la DSP ont été acheminées au responsable de la résidence pour prévenir la transmission de l’infection. »

La fille de l’un des résidants affirme que son père a reçu une lettre de l’établissement confirmant certains cas suspects et lui demandant de rester confiné dans sa chambre. « Mon père reçoit ses trois repas par jour à sa porte. Il ne peut pas se promener dans le building », a raconté la femme, préférant garder l’anonymat pour ne pas nuire à son père.

Les ambulanciers sont intervenus cinq fois à la résidence Eva depuis vendredi dernier pour des résidants qui présentaient des symptômes de la COVID-19, souligne Claude Lemay, directeur des opérations chez HRH services préhospitaliers, qui dessert la région de Lavaltrie – petite ville située à une trentaine de kilomètres à l'est de Montréal. Mercredi soir, deux ambulances étaient sur place et au moins une personne a quitté les lieux en civière, a constaté La Presse sur place.

Le premier cas pour lequel les paramédicaux sont intervenus, vendredi dernier, est celui de Mariette Tremblay, nous confirme Normand Godcharles, PDG du Groupe Edifio, propriétaire de la résidence. La dame, dont la santé était fragile, a succombé à la COVID-19 et en devient donc la première victime québécoise.

Des travailleurs mal protégés

Les ambulanciers paramédicaux qui sont intervenus vendredi « ont dû être placés en quarantaine parce qu’ils n’avaient pas obtenu à l’avance l’information que la patiente avait été en contact avec une personne qui avait voyagé », précise M. Lemay. Ils ne portaient donc pas l’équipement de protection.

Pourtant, lors de leur intervention, les ambulanciers ont posé les questions réglementaires au personnel de la résidence, sur place. Au préalable, le répartiteur avait posé les mêmes questions au téléphone. Au nombre des questions que doivent poser les paramédicaux dans toutes leurs interventions à l’échelle du Québec, on demande spécifiquement s’il y a eu contact avec une personne qui a voyagé à l’étranger. Or, cette information n’a pas été communiquée.

Ce n’est que lorsque les paramédicaux sont intervenus auprès de la patiente « qu’une personne qui était sur les lieux a fini par dire qu’elle avait voyagé. Elle a dit qu’elle n’avait pas de symptômes. Finalement, elle en avait, des symptômes », précise M. Lemay.

« Les symptômes de la dame avaient été énumérés aux ambulanciers, c’est une dame qui avait des problèmes respiratoires et des pneumonies, donc difficile d’associer directement cela à la COVID-19. »

— Normand Godcharles, PDG du Groupe Edifio, propriétaire de la résidence Eva

Les deux paramédicaux se portent bien et ne présentent pour l’instant aucun symptôme.

Désormais, dans toutes leurs interventions à la résidence Eva, les paramédicaux doivent porter l’équipement de protection, « peu importe la raison de l’intervention », souligne M. Lemay.

Cependant, des employés du CISSS de Lanaudière, des ergothérapeutes notamment, se sont rendus à la résidence Eva pour donner des soins à des résidants, au cours des derniers jours. Le syndicat qui représente ces employés ne comprend pas que le personnel se mette ainsi à risque pour des interventions jugées non urgentes.

« Il y a des travailleurs qui se présentent encore là. C’est encore la consigne de l’employeur (le CISSS). Pour nous, ça [n’a pas] de sens », dit Steve Garceau, représentant national pour la région de Lanaudière à l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS).

« Ce qui demeure incompréhensible pour le syndicat, c’est qu’on n’applique pas les recommandations de la Santé publique concernant le télétravail, les interventions au téléphone et les soins jugés non essentiels », ajoute M. Garceau.

Appel à la prudence

La famille de la femme âgée morte des suites de la COVID-19 a imploré jeudi la population de suivre les directives de la Santé publique. « Nous voulons que son décès puisse aider à sauver des vies », a écrit la petite-fille de Mariette Tremblay sur Facebook.

« Notre grand-mère était une femme aimante et aimée de tous. Elle était mère de quatre filles, grand-mère de neuf petits-enfants et arrière-grand-mère de neuf, bientôt dix, arrière-petits-enfants. Elle était un visage connu et apprécié au sein de notre petite communauté, dans notre beau village de Lavaltrie. À 82 ans, elle avait une santé précaire et surtout des problèmes respiratoires. Cependant, elle impressionnait par sa lucidité, sa gentillesse, sa générosité, sa répartie. Elle était le pilier de cette belle et grande famille qu’est la mienne », a indiqué la famille dans une déclaration publiée sur Facebook par sa petite-fille, Bibiane Lavallée.

La femme a lancé un message poignant à l’endroit de tout le Québec. 

« Ma famille s’unit à moi pour implorer les Québécois, et le monde entier, à suivre les recommandations émises par les autorités, de faire preuve de civisme, de responsabilité sociale et de rester à la maison. »

— Bibianne Lavallée, petite-fille de Mariette Tremblay

« Nous n’avons pas eu la chance de sauver Grand-mamie. Mais vous avez la chance de faire une différence maintenant qu’on sait  ; maintenant qu’on connaît les dommages causés par cette pandémie. Il faut tout mettre en œuvre pour éviter que les drames humains comme celui que nous vivons continuent à se multiplier. Nous voulons que le décès de ma grand-mère, première victime au Québec de la COVID-19, puisse aider à sauver des vies. »

Mme Lavallée a décrit de façon bouleversante les derniers jours de sa grand-mère. Lorsque les mesures de prévention qui ont touché tout le Québec ont été mises en place, « il était déjà trop tard pour épargner ma grand-mère. Quand le diagnostic est tombé, elle était condamnée ». 

La femme âgée a vécu ses derniers moments privée du soutien de sa famille. « Cette femme de cœur qui a toujours été entourée de ses proches a vécu ses derniers jours isolée de nous tous et ça nous brise le cœur. Nous aurions voulu pouvoir lui tenir la main, la réconforter, lui parler doucement à l’oreille, mais nous n’en avons pas eu la chance. »

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