Quand le capital migre du village à la ville

Pénurie de main-d’œuvre oblige, Attraction, une entreprise qui fabrique des chandails de coton ouaté en fibres éthiques et des t-shirts dans ses deux usines du village de Lac-Drolet, en Estrie, tout juste à la frontière de la Beauce, vient d’ouvrir un nouvel atelier de confection à Montréal au cœur du quartier Chabanel pour avoir accès à un bassin de main-d’œuvre spécialisée qu’elle n’arrive plus à trouver en région.

On vit vraiment un phénomène inverse à celui qu’on a longtemps observé au Québec, alors qu’au cours des deux derniers siècles, l’exode rural a dépeuplé nos régions que les travailleurs quittaient en masse en espérant trouver une plus grande stabilité d’emploi dans les grandes villes.

Il y a 30 ou 40 ans, plusieurs entreprises de textile étaient toutefois toujours actives dans différentes régions pour répondre aux besoins de grandes sociétés situées à Montréal, telles que la Dominion Textile, qui avait notamment des usines à Salaberry-de-Valleyfield, Sherbrooke, Magog, Drummondville, Victoriaville ou Montmorency.

Plusieurs plus petits producteurs ont aussi continué leurs activités sur tout le territoire québécois, notamment en Beauce et en Estrie, où l’entreprise Attraction a commencé à faire des chandails promotionnels et souvenirs à partir de 1980, dans le village de 1200 habitants de Lac-Drolet.

L’entreprise, qui a été rachetée par Julia Gagnon, fille du cofondateur d’Attraction, et son conjoint, Sébastien Jacques, emploie 110 personnes à Lac-Drolet et, on s’en doute bien, est le principal employeur de la petite municipalité.

« La demande est en forte hausse et on avait besoin d’augmenter nos capacités de production, mais on était incapables de trouver la main-d’œuvre en région. Des couturières, il y en a moins qu’avant et nos employées vieillissent. On a donc décidé d’ouvrir une usine à Montréal pour profiter de la disponibilité de travailleuses qui habitent tout autour », m’explique Sébastien Jacques dans le nouvel atelier de confection du quartier Chabanel.

Les deux propriétaires d’Attraction ont bien cherché à acquérir des ateliers de fabrication dans les environs de Lac-Drolet, mais le problème reste entier, les usines existantes n’arrivent plus à trouver le personnel spécialisé, des couturières de métier, pour assurer la relève.

Le virage pandémique

Avant l’éclosion de la pandémie, Attraction réalisait 50 % de son chiffre d’affaires en important des t-shirts d’Asie pour les transformer en objets touristiques pour les boutiques de souvenirs, des t-shirts aux couleurs de Banff, Whistler, Québec ou Gaspé.

Cette activité a été réduite de moitié avec l’effondrement du tourisme à l’été 2020, mais reprend tranquillement de la vigueur. Par contre, la fabrication de chandails en coton ouaté avec des fibres éthiques, du coton biologique et du polyester recyclé, enregistre une croissance soutenue qui ne s’essouffle aucunement.

« On a créé la division Ethica, qui ne fabrique que des chandails promotionnels avec des fibres éthiques, qui a le vent dans les voiles. Avec l’ouverture de notre nouvel atelier du quartier Chabanel, on prévoit doubler la production cette année », souligne Sébastien Jacques.

La décision d’investir à Montréal a été prise l’été dernier et Attraction emménageait en novembre dans ses nouveaux locaux, où on a installé une trentaine de postes de travail sur deux chaînes de production qui ont commencé leurs activités en décembre dernier.

Déjà, Attraction prévoit doubler la surface de l’atelier et embaucher 30 couturières additionnelles dès le mois d’avril pour répondre à la demande soutenue.

« On n’aurait pas pu faire ça chez nous ou en Beauce. Ici, il existe un écosystème avec de nombreux nouveaux arrivants qui veulent travailler près de chez eux. On n’aurait pas pu les faire venir à Lac-Drolet. Leurs familles, leurs amis, leur communauté sont ici, à Montréal, il fallait donc s’ajuster. »

– Sébastien Jacques, copropriétaire d’Attraction

Toute l’embauche s’est faite par le bouche à oreille. Un directeur d’atelier montréalais, Kamel Daoud, a été nommé pour superviser la production et Philippe Gagnon, directeur d’usines d’Attraction, est venu faire l’installation des 30 postes de travail et s’attellera à l’agrandissement prochain de l’usine.

« La pandémie a été un choc, mais on s’en relève plus forts. La demande pour les chandails Ethica, de fabrication syndicale, n’arrête pas d’augmenter. Avant la pandémie, on avait un délai de livraison de dix jours pour nos commandes et c’est passé à six semaines. Il faut revenir à dix jours et se constituer des stocks pour ne pas perdre de clients », convient Sébastien Jacques.

Il n’en reste pas moins qu’il est assez inhabituel que des entreprises de région viennent investir à Montréal. L’inverse était plus souvent la norme.

On l’a vu la semaine dernière, avec les plus récentes données de l’Institut de la statistique du Québec : c’est au tour de Montréal de souffrir de l’exode de sa population au profit des régions alors que la ville a enregistré une baisse de 2,5 % de ses résidants.

Et c’est grâce aux investissements d’une entreprise régionale comme Attraction que Montréal pourra conserver ses résidants qui y travaillent.

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