1971
l’année dorée du rock’n’roll
11 janvier 1971. Trois mois ont passé depuis la mort par surdose de Janis Joplin. Pourtant, ce jour-là, la voix rauque de la chanteuse se fait entendre, forte et vibrante, un peu partout sur les ondes radio, grâce à de nouvelles chansons. Chez les disquaires, on fait la queue pour se procurer son album – posthume – Pearl, qui se hisse en tête des ventes dès sa sortie et qui y restera pour les neuf semaines suivantes. C’est ainsi qu’a débuté, il y a 50 ans, l’année 1971, l’une des plus importantes de l’histoire de la musique rock.
Sur les tables tournantes, aux nouvelles chansons de Janis Joplin se sont rapidement ajoutées celles des Rolling Stones, de Rod Stewart, Carole King, The Who, David Bowie, John Lennon et Paul McCartney.
Le journaliste David Hepworth, spécialiste de la musique rock britannique, qui a notamment participé au lancement des revues Q, Empire et Mojo, a connu l’effervescence de cette année. Il en a rappelé les grands moments dans son livre 1971 – Never a Dull Moment : Rock’s Golden Year*.
En 2021, son idée n’a pas changé : « 1971, c’est l’annus mirabilis du disque rock, nous dit-il en entrevue. Les albums sont qualifiés de classiques quand on les écoute 50 ans plus tard et qu’on les trouve encore brillants et pertinents. C’est le cas pour un grand nombre qui sont sortis cette année-là. »
Selon Danick Trottier, professeur de musicologie et directeur du département de musique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), la qualité des enregistrements il y a 50 ans peut s’expliquer, entre autres, par l’expérience acquise par les artistes au milieu des années 1960, lors de la première vague de rock psychédélique.
« On est en présence d’une jeunesse très créative qui, après avoir proposé ses premières chansons et connu les joies de la scène, retourne en studio au tournant de 1970. Elle veut alors créer des albums plus complexes, plus personnels, et offrir le meilleur de ce qu’elle a appris. Elle prend le temps de bien faire les choses. Et ça s’entend. »
— Danick Trottier, professeur de musicologie et directeur du département de musique de l’Université du Québec à Montréal
Marvin Gaye au sommet
En 2003, la revue Rolling Stone a eu l’idée de proposer un classement des 500 plus grands albums de tous les temps. La liste – anglo-centriste, il est vrai – révèle l’importance de ceux qui sont sortis au tournant des années 1970. On en compte des dizaines. Revu et corrigé en septembre 2020, ce classement laisse aujourd’hui voir dans les premières places deux disques de 1971 : Blue, de la Canadienne Joni Mitchell (troisième position), et What’s Going On, de l’Américain Marvin Gaye, placé au sommet.
Si l’on catégorise aujourd’hui ce What’s Going On de disque soul, sa construction et sa structure puisent principalement dans le rock, explique le directeur du département de musique de l’UQAM. « On est ici dans une musique soul bien travaillée, conçue dans les valeurs typiques au rock, dans les propos, dans l’idée d’une unité, d’un disque qui est vu comme un tout. Un peu comme Funkadelic et son album funk Maggot Brain, sorti aussi en 1971, la musique soul de Gaye est travaillée sérieusement en studio, avec la présence de musiciens de grande qualité. Il y a une continuité d’un bout à l’autre de l’enregistrement. Les textes sont extrêmement politisés, socialement critiques, alors que la musique, elle, a du groove. Cinquante ans après sa parution, c’est encore un album parfait, sur le plan des textes et de sa construction musicale. »
Le journaliste britannique David Hepworth rappelle qu’à l’époque, le cloisonnement des différents styles n’existait pas. Folk, psychédélique, country, funk, glam ou soul, « tout ce qui était consommé par les moins de 30 ans était alors associé au rock. C’était du rock, dans une forme ou dans une autre. Ce n’est qu’aujourd’hui, 50 ans plus tard, que le rock est perçu comme une musique faite uniquement par des gars qui portent des pantalons de cuir », ironise-t-il.
René Simard et le yéyé
Pendant que la planète anglo-saxonne se déhanchait à l’écoute des Gaye, Elton John, Funkadelic et autres Sly and the Family, au Québec, l’année 1971 était celle de… René Simard, Chantal Pary, Pierre Lalonde, Renée Martel et Joël Denis.
« On découvrait L’oiseau [de René Simard] et on était dans le post-yéyé, explique Danick Trottier. On assistait à un retour en force des vedettes de ce style popularisé au début des années 1960. »
Le rock psychédélique était pourtant présent depuis quelques années déjà ici, tout comme le rock orchestral et conceptuel, avec notamment l’album Jaune, de Jean-Pierre Ferland (1970). Mais il a fallu attendre 1972 et les années suivantes pour véritablement voir les Québécois créer et consommer du rock à l’image de ce qui était proposé ailleurs au tournant des années 1970.
« Les Québécois écoutaient évidemment ce qui se faisait ailleurs et étaient subjugués par les Janis Joplin, Jimi Hendrix, John Lennon. Notre musique s’est développée en réaction à ces grandes vedettes de la musique rock. À rebours, on a vécu nous aussi cette explosion musicale, avec nos Diane Dufresne, Offenbach, Octobre, Beau Dommage, Harmonium... »
— Danick Trottier, professeur de musicologie et directeur du département de musique de l’Université du Québec à Montréal
Que l’album soit d’ici ou d’ailleurs, un fait demeure : celui que l’on écoute encore, 50 ans après sa sortie, est le résultat « du projet personnel d’un artiste au sommet de son art, qui a pris le temps de développer sa musicalité, a composé des textes pertinents et propose un propos fort, rappelle M. Trottier. C’est ce qui fait la grandeur d’un disque, et c’est ce qui lui permet de passer l’épreuve du temps ».
* David Hepworth propose également une liste de lecture de plus de 250 (!) chansons, « 1971 – Never a Dull Moment », sur Spotify.
Les incontournables de David Hepworth
David Bowie, Hunky Dory
Sly and the Family, There’s a Riot Goin’ On
The Allman Brothers Band, The Allman Brothers Band Live at The Fillmore East
Nick Drake, Bryter Layter
Linda McCartney et Paul McCartney, Ram
Les incontournables de Danick Trottier
Marvin Gaye, What’s Going On
Funkadelic, Maggot Brain
John Lennon, Imagine
The Who, Who’s Next
Sly and the Family, There’s a Riot Goin’ On
Dans la francophonie : Serge Gainsbourg, Histoire de Melody Nelson
Et au Québec : Soleil, de Jean-Pierre Ferland et Paul Baillargeon. « Il ne faut pas l’oublier, cet album conceptuel qui suit Jaune, sorti en 1970. Il ne connaîtra pas un grand succès, mais c’est un album très important. »