Guy Rocher

« Nous n’avons pas avancé, nous avons reculé ! »

Québec, 1961. Un quart des enfants de 15 ans ne vont pas l'école. La durée moyenne de scolarisation des plus de 30 ans est inférieure à sept ans. Seulement 13 % des jeunes Québécois francophones terminent leur 11e année (5e secondaire). À peine 4 % poursuivent des études universitaires (comparativement à 11 % des anglophones).

Deux ans plus tard, la commission Parent sur l’éducation remet son premier rapport. « L’État québécois commence. » Le sociologue Guy Rocher faisait partie de cette commission. Depuis, son apport à la société québécoise a été majeur. Il a contribué, comme acteur mais aussi comme observateur, aux grands débats du Québec moderne : laïcité de l’État, formation des écoles secondaires publiques, création des cégeps, fondation de l’UQAM, introduction de la loi 101. Au bout du fil, l’homme de 98 ans ne semble pas vieillir, ses propos non plus. Il a gentiment accepté de nous accorder une entrevue, précisant : « J’aime beaucoup lire L’Itinéraire quand je le trouve ! » Bilan de 60 ans d’observations de notre système scolaire.

Quels sont vos constats depuis la Commission Parent ?

Le grand objectif de la commission Parent, c’était l’égalité des chances pour toutes et tous en éducation. Tout le rapport se résume à cet objectif et à se donner les moyens d’en arriver là. Or, je constate que nous n’avons pas réussi ça parce que progressivement, nous avons laissé se développer un système d’éducation à trois vitesses. Nous avons maintenant, au Québec, le système d’éducation le plus inégalitaire du Canada. C’est une trahison de l’objectif envers tous ceux qui ont voulu un système d’éducation pour tout le monde. Le privé prend les meilleurs élèves et l’école secondaire publique développe des programmes pour les « deuxièmes meilleurs » et puis il reste les moins bons, tout seuls, dans la troisième partie du système scolaire. Après, on dit : « Il y a du décrochage, de l’analphabétisme. » Oui, mais pourquoi ? Parce que nous avons un système d’éducation élitiste comme dans les années 1960, nous n’avons pas avancé, nous avons reculé.

Avons-nous besoin d'une grande réforme scolaire ?

Je crois que ce serait le moment de faire une autre commission Parent. On fait de la recherche dans plusieurs endroits comme au Conseil supérieur de l’éducation, malheureusement pas assez connu, mais il n’y pas de lieu où toutes ces connaissances sont ramassées, synthétisées. Il faut consulter beaucoup de monde et dans toutes les régions du Québec ; tenir des séances, recevoir des mémoires. Ça provoquera un bouillonnement dans la société, comme celui qui avait beaucoup alimenté la commission Parent. Mais il faudra laisser à cette deuxième commission le temps de travailler. La commission Parent a étudié l’éducation pendant près de cinq ans ; elle est allée voir ce qui se faisait ailleurs, a pris le temps d’écrire des rapports qui allaient en profondeur. Aujourd’hui, on veut des solutions rapidement, dans deux semaines, dans deux ans... Le moment serait mûr, et cela permettrait peut-être de faire apparaître une volonté politique, cela éveillerait l’opinion publique et les dirigeants politiques.

Quels sont vos espoirs pour notre société, pour la jeunesse ?

Concernant la jeunesse, elle est née avec la technologie au bout des doigts. La technologie n’est pas tout. Si on se plaint que les jeunes écrivent mal, c’est parce que la technologie leur permet d’écrire n’importe comment, et ils pensent que l’essentiel, c’est d’être compris. Cela développe une sorte de paresse et limite leur français parlé. La jeunesse devrait avoir plus de fierté du français qu’elle parle et de sa culture québécoise. Ça manque, à mon avis. Cette paresse, je l’observe partout. À l’université, chez les journalistes, chez les artistes. C’est une grande faiblesse. Les Québécois manquent de mots pour s’exprimer, faire des phrases complètes, avoir une bonne syntaxe française. La langue n’est pas seulement un moyen d’expression, c’est aussi un lieu pour exprimer notre culture québécoise francophone qui a ses racines, ses singularités et que malheureusement nous ne valorisons pas. Un jour, il y aura un autre Paul Gérin-Lajoie ou un autre Pierre Bourgault. En ce moment, tout le monde n’accepte pas la situation en éducation. Il y a des gens qui y travaillent, pas au gouvernement, mais dans des groupes comme l’École ensemble, Dehors pour l’école et le collectif Debout pour l’école, mais ce n’est pas encore assez étendu pour que les partis politiques s’énervent, et qu’on finisse par marcher dans la rue pour demander une réforme.

Cette entrevue, dans sa forme initiale, est plus exhaustive. Elle a été écourtée par souci d’espace. Retrouvez le texte intégral en vous procurant l’édition du 15 octobre de L’Itinéraire auprès de votre camelot ou en ligne.

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