Indie folk

Taylor Swift : deux en deux

evermore
Taylor Swift
Republic Records/Universal Music
4 étoiles

Tout a commencé avec folklore, la plus belle réalisation de Taylor Swift à ce jour, parue l'été dernier. Puis, jeudi, la musicienne a annoncé qu’elle ferait paraître à minuit l’album evermore, le « disque sœur » de folklore. Surprise : elle n’avait pas fini de nous impressionner. Cette suite est aussi réussie, sinon plus aboutie encore, que l’œuvre qui la précède.

« Nous ne pouvions nous arrêter d’écrire des chansons », a tweeté Swift dans l’annonce de la sortie d’evermore, à laquelle personne ne s’attendait, quelques jours avant son 31e anniversaire. Après s’être lancée, avec ses collaborateurs, dans l’exploration de ce style entre l’indie et le folk, la création s’est poursuivie naturellement. Ils ont bien fait de ne pas y mettre de frein. Et Taylor Swift a très bien fait de diffuser le résultat.

Elle a créé ce nouvel opus en un temps record, toujours entourée du même groupe, donc, soit Aaron Dessner (The National), Jack Antonoff et Justin Vernon (Bon Iver) – ce dernier qui, de nouveau, chante en duo avec Swift, sur la magnifique pièce-titre. Il n’est pas étonnant qu’un ensemble si bourré de talent propose une œuvre si maîtrisée. Sans être parfait, l’album a le grand mérite d’être manifestement très travaillé et d’être superbement exécuté.

Ce qu’evermore fait bien, tout d’abord, c’est qu’il a sa propre identité. Bien qu’il soit sans contredit lié à l’album folklore, ce nouvel ensemble de chansons n’est pas qu’un disque de pièces qui n’étaient pas assez bonnes pour la première sélection. Il ne s’agit pas de restes, mais bien d’un album à part entière, d’une heure, soigneusement pensé.

Souvent même, evermore fait mieux que folklore (bien que quelques morceaux de ce dernier surpassent tous les autres). On garde le cap sur les tonalités et la texture du premier, mais on franchit des horizons que l’on n’avait pas encore explorés également.

Les mélodies, majoritairement faites au piano, laissent rarement la pop s’infiltrer, comme c’était le cas sur quelques morceaux de folklore.

Les sœurs Haim interviennent sur no body, no crime, une ballade country qui raconte l’adultère à trois voix, comme trois amies qui racontent une anecdote. Pour coney island, Taylor Swift collabore avec The National, la voix de Matt Berninger lui répondant sur un air délicat de guitare acoustique.

En annonçant cette sortie surprise, Swift en a diffusé le premier extrait, la pièce willow. Ce qui frappe d’abord, c’est ce texte. L’auteure-compositrice-interprète ne semble jamais à court de mots pour ses chansons. Et tout cet album vient de nouveau montrer que ce qu’elle fait de mieux, c’est bel et bien écrire des chansons.

evermore est la continuation de folklore. Swift peint des personnages, leur donne vie. Elle mêle la réalité au folklore, forme des ballades qui peignent joliment des histoires tragiques (la fin malheureuse est plus que sur folklore cette fois). Sur la très belle marjorie, elle parle de sa grand-mère, raconte ce qu’elle a appris d’elle.

Avec deux excellents disques confectionnés depuis le début de la pandémie, Taylor Swift est visiblement de ceux pour qui le confinement et l’arrêt momentané de toute activité ont permis d’être plus créatifs que jamais.

Folk rock

Sir Paul à la maison

McCartney III
Paul McCartney
Capitol Records
Trois étoiles et demie

C’est le 18e album solo de Paul McCartney, le troisième de sa série en tant qu’homme-orchestre, mais le tout premier de sa florissante carrière écrit et enregistré en confinement.

Avant même d’écouter une chanson, il y a quelque chose d’éminemment réconfortant dans le fait que Paul McCartney lance un album en cette fin d’année maussade et pandémique.

McCartney III clôt une trilogie d’homme-orchestre entamée il y a 50 ans, alors qu’il voulait retrouver une liberté totale de création après la folie des Beatles. Cette fois-ci, Sir Paul a écrit, arrangé, enregistré et réalisé ses 11 nouvelles chansons dans sa ferme anglaise du Sussex alors que la planète apprenait à vivre en distanciation physique.

Il n’y avait pas un George Martin ou un Nigel Godrich à ses côtés. Résultat : Paul McCartney a 78 ans et cela s’entend.

Sa voix est mise à nue. Plus fragile. Et ce n’est pas une mauvaise chose. C’est plutôt un privilège d’être en toute intimité dans l’antre créatif de l’ex-Beatle.

Grand mélodiste, McCartney nous prend par la main dès la chanson Find my Way (après une ouverture instrumentale). Au programme pour la suite : une ballade au piano avec Women and Wives, du blues avec Lavatory Lil, une chanson hypnotique de huit minutes qui décortique magnifiquement le sentiment amoureux (Deep Deep Falling), et même du stoner-rock avec Slidin’. Sans compter la réconfortante ballade très beatlesque Winter Birds – When Winter Comes qui clôt l’album.

McCartney est un multi-instrumentiste capable de tout. On le savait déjà, mais son flair pop, sa contemporanéité et même son avant-gardisme nous impressionnent chaque fois.

McCartney figure par ailleurs sur la page couverture du nouveau numéro de Rolling Stone avec Taylor Swift. On nous – et on lui – souhaite un McCartney IV.

Précision : McCartney III sort vendredi (un 18 décembre pour un 18e album solo).

Chanson

Mise à nue

Oh ! Pardon tu dormais
Jane Birkin
Trois étoiles

Jane Birkin n’avait pas fait d’album de chansons originales depuis Enfants d’hiver il y a 12 ans. Oh ! Pardon tu dormais… fait donc figure d’évènement, surtout que l’album a été lancé le 11 décembre, date où sa fille Kate Barry est morte il y a sept ans, à l’âge de 46 ans, tombée du balcon de son appartement dans des circonstances jamais élucidées. La présence de la demi-sœur de Charlotte Gainsbourg et de Lou Doillon plane d’ailleurs sur ce disque mélancolique, puisque trois chansons sur 13 lui sont consacrées, ce qui donne une teinte nécessairement tragique à l’ensemble.

Oh ! Pardon tu dormais… est le titre d’une pièce que Jane Birkin a présentée il y a 20 ans. Deux décennies plus tard, les textes ont été adaptés, retravaillés, découpés et mis en musique par Étienne Daho, Jean-Louis Piérot et Birkin elle-même pour en faire des chansons, mais d’autres morceaux sont nés aussi au cours de la création.

Cinématographique, dramatique, orchestral, cet album de l’intemporelle Jane Brikin, 73 ans, a un côté crépusculaire et sombre (Ghosts, son premier texte en anglais, À marée haute, Sentinelle), quelques moments d’amusement, comme Jeux interdits qui s’inspire de l’enfance de ses filles, et est porté par sa voix toujours aussi cristalline, fragile et sensuelle à la fois.

Ce voyage doux-amer se termine dans la douleur et l’espoir avec une chanson bouleversante, Catch Me if You Can, dans laquelle la mère évoque les derniers souvenirs de sa fille disparue. Une mise à nue qui représente bien cet album atypique et étrange, mais à fleur de peau et sincère.

SKA punk

L’énergie sans l’originalité

Silver Linings
Less Than Jake
Pure Noise records
2 1/2 étoiles

Less Than Jake ne réinvente pas la roue avec Silver Linings. Pourtant, le neuvième album studio du quatuor floridien a créé beaucoup d’attentes chez les fans purs et durs. Ils seront un peu déçus des riffs de guitare rapides et des lignes de bass fluides.

Si on comprend l’intérêt de ne pas changer une formule gagnante, on se serait attendu à ce que le groupe se réinvente au fil des années. Le problème de l’album se trouve justement là : on assiste à une formule plutôt qu’à un processus créatif. D’accord, le ska est un style de musique dur à renouveler, car très facile à dénaturer, et oui, c’est vrai que les thèmes et les propos demeurent légers. Mais on s’attendait à du neuf et on nous sert du réchauffé.

Sur une note plus positive, les accords de guitare mélodieux et accrocheurs donnent à l’album une ambiance sonore estivale qui ajoute du pep à la grisaille hivernale. On retrouve dans des morceaux comme Lost at Home et Anytime and Anywhere l’ambiance conviviale d’un skatepark californien.

Les paroles manquent de profondeur. Le départ en 2019 du batteur Vinnie Fiorello, véritable force tranquille qui contribuait grandement à l’écriture des chansons, est peut-être en cause.

Le tout est sauvé de justesse par les cordes vocales des chanteurs Chris DeMakes et Roger Lima. Il y a tout de même une certaine retenue dans leurs voix, et on aurait pu tirer profit de plus d’intensité.

On retrouve l’énergie des albums précédents, sans l’originalité des succès comme All My Best Friends Are Metalheads et The Science of Selling Yourself Short, comme si le groupe s’était assagi avec le temps, migrant vers un ska punk rose bonbon. C’est le piège de la surutilisation de beats redondants qui ont fait leurs preuves… il y a 30 ans.

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