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Édition du 30 août 2022,
section ARTS ET ÊTRE, écran 10
Née aux Pays-Bas, Marjolein Dallinga a appris à coudre quand elle était jeune. Ayant remarqué ses prédispositions, ses parents l’ont envoyée, chaque fin de semaine, dans une école d’art, dès l’âge de 8 ans. Plus tard, elle a étudié l’histoire de l’art et les beaux-arts. Après avoir rencontré son conjoint québécois à Paris, elle s’est installée à Montréal en 1989. « J’ai commencé à faire des bijoux en papier mâché que je vendais à la boutique du Musée des beaux-arts, dit-elle. Ça me fournissait de l’argent pour mes peintures. »
Marjolein Dallinga a appris le b.a.-ba du feutre grâce à une éleveuse de moutons de Saint-Faustin. « Elle avait fait une démonstration en faisant une petite balle en feutre. J’ai alors acheté de la laine et commencé, en autodidacte, il y a 26 ans. J’avais un bébé. Je lui ai fait des jouets en feutre, car je ne pouvais plus peindre avec un bébé à côté de moi. »
Depuis, elle a si bien développé son art que le cirque, le théâtre et le cinéma ont requis ses services. Elle a créé tentures, costumes, écharpes, gants, chapeaux et sacs à main. Mais l’homme de théâtre et costumier François Barbeau (mort en 2016) l’a persuadée de se lancer en art contemporain. Ce fut décisif. Elle expose maintenant dans des musées en Europe et aux États-Unis, et a acquis une belle réputation internationale. Une de ses créations a été récompensée au World of WearableArt (WOW), en Nouvelle-Zélande.
Le feutre est une matière plus ancienne que le textile tissé. « Dans tous les pays où tu vois des moutons, il y a une tradition du feutre, dit Marjolein Dallinga. Au musée de l’Ermitage, en Russie, des œuvres en feutre datent de 300 ans avant Jésus-Christ. »
Pour créer son feutre, Marjolein Dallinga travaille, à la main, de la laine européenne de qualité, du mérinos espagnol ou du mouton des Alpes. Elle la teint et la transforme en apposant des couches de fibres qu’elle humidifie avec de l’eau savonneuse. Elle les croise et les presse sans cesse pour que les fibres s’enchevêtrent et s’amalgament. Ses fibres de plusieurs couleurs donnent des feutres magnifiquement chamoirés.
« Je dois rouler le matériel, le masser, le lancer. C’est un art très doux, mais aussi physique, surtout quand les pièces de feutre sont très grandes. Le feutre est comme une peau. Très intime, il protège, enveloppe et permet d’exprimer quelque chose qui vient de l’intérieur. Je rêve parfois que je suis entre les couches du feutre ! »
Marjolein Dallinga et son mari vivent à Gore, dans les Laurentides. C’est là qu’elle crée, au milieu de la forêt. Elle y reçoit des élèves logés au cœur de l’atelier quand ils viennent apprendre l’art du feutrage. Dans son atelier, on trouve plusieurs de ses œuvres d’art contemporain et les essais de vêtements créés pour des spectacles. Elle a travaillé pour Les chaises, au TNM, et pour le Cirque du Soleil, notamment pour les productions Z, Dralion et Ovo.
Intuitive, elle est parvenue, grâce à l’expérience, à découvrir toutes les facettes de ce matériau si volubile. « L’inspiration me vient en marchant dans la forêt et grâce à la photographie. J’ai aussi été influencée par le cinéaste Andréï Tarkovski et les artistes Kiki Smith, Louise Bourgeois, Dale Chihuly, Anish Kapoor et Joseph Beuys. »
Marjolein Dallinga a déjà exposé à la Biennale internationale du lin de Portneuf, à la Mary E. Black Gallery d’Halifax, au centre Materia, à Québec, au Museo del Tessuto, en Toscane. Jusqu’au 10 octobre, elle est la seule Canadienne d’une expo collective au Brattleboro Museum & Art Center, au Vermont.
Marjolein Dallinga adore enseigner. Son expertise étant reconnue, elle enseigne et donne des conférences partout : Irlande, Chili, Oregon, Uruguay en novembre prochain, France et Pays-Bas en 2023.
L’art du feutre a repris du poil de la bête depuis les années 1990. « On a commencé à avoir de meilleures laines, dit-elle. Cela a permis de développer la qualité du feutre. Avant, c’était surtout des choses portables qu’on créait. » Plus d’artistes contemporains se mettent à créer avec du feutre. La galerie Bradley Ertaskiran exposait, au printemps dernier, des tableaux en feutre de l’artiste américaine Melissa Joseph.