(Laval) « Je sais que tout le monde aimerait nous entendre prononcer le mot en P… »

Jeff Gorton, vice-président aux opérations hockey du Canadien de Montréal, a mis la table rapidement. Le « mot en P », c’est « playoffs », ou séries éliminatoires en français. Dès la deuxième minute de son allocution, lundi matin, à l’occasion du traditionnel tournoi de golf lançant la nouvelle saison, il a clairement établi qu’il ne le prononcerait pas.

Et il a tenu promesse, ne soufflant à aucune reprise le nouveau terme honni en presque 14 minutes au micro. Le propriétaire et président du club, Geoff Molson, le directeur général Kent Hughes et l’entraîneur-chef Martin St-Louis ont gardé la même réserve, s’échappant ici et là sans toutefois ne jamais s’engager à en faire un objectif.

Le message global, toutefois, ne peut être plus clair. La campagne 2023-2024 se déroulera sous le signe de la « croissance », mot qui avait visiblement été choisi pour expliquer (ou pas) où en est le Tricolore dans son processus de reconstruction. Pour une autre saison, au moins, on en appelle à la « patience » des partisans.

On va essayer de s’améliorer chaque jour. Je sais que c’est cliché et j’en suis désolé, mais c’est comme ça qu’on avance. C’est ce qu’on veut.

Jeff Gorton, vice-président aux opérations hockey du Canadien

Lors de son bilan de fin de saison, en avril dernier, Kent Hughes avait explicitement indiqué que ses « attentes » allaient être haussées en vue de cet automne.

On peut comprendre pourquoi. Le CH vient de terminer au 32e puis au 28rang du classement général. Le processus de reconstruction a été clairement nommé – plus que jamais auparavant, a souligné Geoff Molson –, si bien que le duo Gorton-Hughes mène depuis un an et demi un ménage de la cave au grenier, autant chez les joueurs qu’au sein du personnel de la franchise.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Jeff Gorton, vice-président aux opérations hockey du Canadien

Il n’empêche que la notion d’attentes, elle, demeure abstraite.

Geoff Molson : « Notre équipe sera jeune, rapide et très talentueuse. Je veux la voir se développer encore davantage. Quand ils [les joueurs] seront prêts, nous allons avoir une équipe très excitante. »

Kent Hughes : « Je ne peux pas donner de sens concret. J’ai dit, à la fin de la saison dernière, qu’on n’arriverait pas ici en disant qu’on ratera les séries, que c’est déjà réglé et qu’on jouera sans compétitionner. Les joueurs ont des attentes envers eux-mêmes. Moi, je m’attends à ce qu’ils se présentent chaque match pour gagner. »

Le DG a nuancé son discours en concédant que les victoires et défaites ne pouvaient être complètement évacuées de l’équation. Or, il se garde d’établir des objectifs qui deviendraient un « fardeau » pour les joueurs, qui leur enlèverait toute marge de manœuvre. « Les matchs sont joués pour une raison. On va voir où ça va nous mener. »

Reprenant un credo bien rodé, Martin St-Louis a pour sa part rappelé que « le succès, c’est tous les jours ».

« Il faut gagner la journée, a-t-il dit. Quand tu gagnes un match, tu penses que tu as gagné la journée, mais parfois, cette petite victoire-là, c’est un [mirage], puisque tu n’as peut-être pas disputé ton meilleur match. C’est un band-aid quand t’as besoin d’une opération. »

En abordant les situations avec « honnêteté » et en misant sur le développement des joueurs, « le succès sera un effet secondaire », croit-il.

Jeunesse

La posture de l’état-major du Tricolore est évidemment sensée dans le contexte où évolue l’équipe. Au sein d’une division Atlantique sans pitié, l’idée d’une accession aux séries éliminatoires est quasi utopique, à moins de performances hors du commun du Canadien combinées à un effondrement simultané de tous ses adversaires.

« La plupart de nos joueurs ont moins de 25 ans et n’ont pas atteint leur plein potentiel », a rappelé Kent Hughes. Cette jeunesse, surtout, apparaît à des positions-clés. Pensons aux trois meilleurs attaquants du club, Nick Suzuki, Cole Caufield et Kirby Dach. À Juraj Slafkovsky, plus jeune joueur de la ligue l’an dernier à 18 ans. Aux attaquants Alex Newhook, acquis pendant l’été, et Rafaël Harvey-Pinard, une révélation en deuxième moitié de saison. Ou encore aux défenseurs Kaiden Guhle, Jordan Harris, Justin Barron et Arber Xhekaj, qui ont tous fait partie de la rotation régulière en 2022-2023.

Tous ces jeunots arrivent avec un bagage d’expérience plus lourd que l’an dernier, a fait remarquer Martin St-Louis. Et tous se verront confier davantage de responsabilités qu’auparavant, a confirmé Kent Hughes. Ce dernier a reconnu que de demander à des joueurs en début de carrière de faire passer presque exclusivement les intérêts collectifs avant leurs intérêts individuels représentait une part de défi.

Jeff Gorton a néanmoins exprimé un souhait. Au camp d’entraînement comme pendant la saison, « on doit avoir des joueurs qui poussent, poussent, poussent ». « Nous devons être compétitifs chaque soir », a-t-il précisé.

Tous les dirigeants ont par ailleurs souligné leur émerveillement d’avoir vu une quarantaine de joueurs converger vers le centre d’entraînement de Brossard dès le mois d’août, sans que l’organisation ne les ait obligés à rentrer en ville. Si les joueurs l’ont fait en toute discrétion, il est assez évident que leurs patrons voulaient que ça se sache.

« Ça montre leur enthousiasme et leur engagement », a analysé Gorton.

« L’enthousiasme, ça peut nous mener loin », a renchéri Hughes.

Mais jusqu’à quel point ? « C’est sur la glace qu’on aura la réponse », a conclu Geoff Molson.