Indemnités

Une dette envers les esclaves

Des descendants d’anciens propriétaires d’esclaves britanniques vont verser 100 000 livres (160 000 $CAN) à un fonds de recherche sur l’esclavage en Grenade. Mais cette somme ne représente qu’une infime fraction de l’indemnité que la famille Trevelyan avait reçue en 1834, quand l’esclavage a été aboli dans l’Empire britannique.

La descendante

Laura Trevelyan est correspondante à New York de la BBC. En 2016, un de ses cousins, John Dower, a découvert à l’occasion de recherches bibliographiques que six de ses ancêtres possédaient des domaines à Grenade où travaillaient 1004 esclaves. Ces plantations avaient été vendues en 1860 puis oubliées. Mme Trevelyan a approfondi ces recherches et s’est rendue à Grenade l’an dernier pour tourner un documentaire sur ses ancêtres esclavagistes pour la BBC. « Nous l’avons rencontrée à ce moment-là », explique Arley Gill, président de la Commission pour les réparations de la Grenade, qui sera à l’Université d’Ottawa jeudi prochain pour une conférence sur les réparations pécuniaires dues aux anciens esclaves. « Elle a participé par la suite par vidéo à notre forum annuel sur les réparations. Et elle viendra formellement le 27 février à la Grenade pour remettre la somme de 100 000 livres qui lancera le fonds de recherche sur les conséquences de l’esclavage à l’Université des Indes occidentales.

La compensation

Le hic, c’est que la famille Trevelyan a reçu en 1835 une indemnité de 27 000 livres pour l’« expropriation » de ses esclaves, libérés par l’interdiction de l’esclavage. Cela équivaut à près de trois millions de livres (un peu moins de cinq millions de dollars canadiens) actuellement. « Nous espérons que d’autres membres de la famille Trevelyan verseront aussi des sommes en réparations », dit MGill. Amissi Manirabona, professeur de droit de l’Université de Montréal qui étudie notamment les crimes contre l’humanité, estime que les sommes en jeu sont moins importantes que le geste. « Pour les victimes de crimes comme l’esclavage, des excuses et un geste comme celui-ci sont importants », dit MManirabona. L’historien Wendell Adjetey, spécialiste de la diaspora africaine à l’Université McGill, est moins enthousiaste. « C’est un geste dans la bonne direction, mais il ne faudrait pas que ça devienne une manière pour les descendants d’esclavagistes de laver le nom de leur famille », dit M. Adjetey.

De son côté, l’avocat et militant torontois Anthony Morgan, qui a réclamé en 2019 dans la revue Ricochet un programme canadien de réparations pour les victimes de l’esclavage, estime que le don de la famille Trevelyan est positif parce qu’il met de la pression sur les institutions comme la famille royale britannique et la Banque d’Angleterre pour qu’elles paient aussi des réparations.

L’A B C de la traite des Noirs

L’UNESCO estime que 30 millions d’Africains ont été réduits à l’esclavage et déplacés dans une autre région entre le IXe et le XIXe siècle. Les deux tiers de ces violences ont eu lieu entre 1400 et 1900, et il est estimé que le commerce des esclaves dans l’Atlantique, à destination des Amériques, a fait entre 10 et 15 millions de victimes. Au Canada, des dizaines de milliers d’Africains ont été réduits à l’esclavage, selon MMorgan.

Les autres

Le quotidien The Guardian recensait deux autres familles ayant des ancêtres esclavagistes qui ont récemment annoncé des dons similaires à celui de la famille Trevelyan. Un député conservateur, Richard Drax, a aussi fait les manchettes l’an dernier parce que la Barbade veut nationaliser une plantation que détient toujours la famille Drax. « En décembre, le gouvernement néerlandais a présenté ses excuses pour l’esclavage », dit MGill. Le mouvement est beaucoup moins avancé en Europe du Sud, en Amérique latine et dans le monde islamique, selon lui.

L’Afrique

Le débat sur les réparations devrait par ailleurs inclure les pays africains, selon Nathan Nunn, un économiste de Harvard et de l’Université de la Colombie-Britannique. « Les pays africains les plus touchés par le commerce atlantique des esclaves sont maintenant moins avancés sur le plan économique », dit M. Nunn, qui a décortiqué des centaines de bases de données pour arriver à cette conclusion. « Les pays les plus touchés ont aussi un moins haut degré de confiance interpersonnelle. L’esclavage atlantique est en partie responsable du sous-développement en Afrique. » L’esclavage vers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient n’a pas eu le même effet, même s’il a impliqué plus de victimes que l’esclavage vers les Amériques, parce qu’il s’est étalé sur une plus longue période, plus d’un millénaire, et a donc été moins intensif, selon M. Nunn.

90 %

Proportion des esclaves qui ont traversé l’Atlantique transportés vers l’Amérique latine ou les Caraïbes

Source : Institut Gilder Lehrman d’histoire américaine

65 %

Proportion des esclaves des Amériques qui habitaient les États-Unis en 1860

Source : Institut Gilder Lehrman d’histoire américaine

5 % à 20 %

Taux de mortalité sur les navires transportant les esclaves dans les Amériques

Source : UNESCO

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