Témoignage

Les vélos locaux que Marinoni ne peut pas vendre

Alors qu’on promeut l’achat local, Cycles Marinoni ne peut vendre ses vélos en ligne parce que la COVID-19 a fermé son usine. Paolo Marinoni aimerait au moins que le Panier Bleu favorise les produits – et vélos – faits au Québec.

Il en va des bicyclettes comme des fraises : ne devraient porter l’étiquette locale que celles qui sont produites au Québec.

« Acheter des fraises de la Californie dans l’épicerie d’à côté de chez nous, je ne trouve pas que c’est un achat local », défend Paolo Marinoni, président de Cycles Marinoni.

Pas plus qu’acheter un vélo fabriqué en Asie au magasin du coin, ajoute-t-il. « Selon moi, acheter local, c’est acheter quelque chose qui est fait ici, pas l’acheter à côté de chez soi. »

Pour justifier sa teinte, le Panier Bleu devrait être réservé aux produits fabriqués au Québec, soutient l’entrepreneur. D’autant plus que ses concurrents « qui ne fabriquent rien au Québec font tout pour que le monde pense le contraire ».

« Il faudrait peut-être faire une distinction, quelque part. »

Car Cycles Marinoni vit un paradoxe. Le fabricant réputé , qui assemble – amoureusement – ses vélos dans sa petite usine de Terrebonne, a dû interrompre sa production sous la pression de la COVID-19.

« On continue à faire de la vente en ligne, mais on ne peut plus fabriquer de vélos parce que ce n’est pas un service essentiel », explique son président.

Par contre, c’est un produit fabriqué localement, qui répond à la nouvelle conscientisation de la proximité solidaire. « J’ai des appels tous les jours de gens qui disent : “Je veux acheter local, est-ce que je peux acheter un vélo ?” Ben non, je n’ai pas le droit de le fabriquer. »

Et c’est ici que le bât blesse.

« Les autres compagnies québécoises ou américaines peuvent continuer à vendre en ligne et les importer. Autrement dit, je suis désavantagé parce que je fabrique des vélos au Québec. »

— Paolo Marinoni, président de Cycles Marinoni 

Il met tout de même la pédale douce. Il comprend la situation. Il n’exige pas de reprendre la production. La santé publique avant tout. Mais si la COVID-19 entraîne dans son sillage une saine prise de conscience à l’égard de la communauté et des échanges locaux, il conviendrait que ces principes soient quelque peu clarifiés, si le gouvernement veut s’en faire le héraut.

Il a écrit au ministre Pierre Fitzgibbon pour lui faire connaître son point de vue.

Toujours en selle

En des temps moins perturbés, Marinoni vivrait actuellement sa saison la plus faste.

L’entreprise, qui assemble sur commande quelque 500 vélos par année, fabrique ses propres cadres en tubes d’acier et de titane. Le 24 mars dernier, Paolo Marinoni a mis à pied ses 15 employés. Son père, Giuseppe, fondateur de la marque, venait encore donner un coup de main bénévolement. « Mais là, à 82 ans, il essaie de ne pas trop sortir de la maison. »

Ce qui ne l’empêche pas de sortir sur son vélo.

Pour sa part, son fils est resté en selle pour gérer le commerce en ligne, qui se concentre surtout dans la distribution de pièces de vélos.

Devant l’afflux plus important que prévu, il a rappelé un premier employé pour l’aider. « D’ailleurs, j’ai regardé mes chiffres pour l’année 2020, je suis en avance sur l’année 2019, pour les premiers mois », s’étonne Paolo. 

« Depuis un mois, on vend beaucoup d’exerciseurs, pour des gens qui pédalent à l’intérieur. On en a vendu plus que jamais. Mais là, on n’en a plus à vendre, c’est le problème. »

— Paolo Marinoni, président de Cycles Marinoni 

Et pour cause : ils sont fabriqués en Italie.

Quand il a appris que la réparation de vélos était un service essentiel, il a appelé un second employé à la rescousse.

Malgré tout, la COVID-19 ne menace pas la santé financière de son entreprise.

« On va perdre des ventes, mais ce n’est pas comme si j’avais une grosse hypothèque, des fournisseurs ou la banque à payer, explique-t-il. Les profits des autres années sont restés dans la compagnie. On ne doit rien à personne. On n’a pas de dettes. Ce n’est pas inquiétant. »

Tôt ou tard – mais mieux vaudra tôt – , il rappellera ses autres employés et relancera la production. « Ce que je trouve plate, c’est que ceux qui font fabriquer ailleurs peuvent continuer comme si de rien n’était. »

Avec un peu de chance, ses vélos réapparaîtront en même temps que les fraises du Québec.

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