États-Unis

Une Canadienne au cœur d’une tempête raciale à New York

NEW YORK — Elle a d’abord perdu sa réputation, puis son chien et enfin son emploi. Il reste maintenant à voir si elle conservera son droit de remettre les pieds à Central Park.

Amy Cooper, une Canadienne travaillant à New York depuis plusieurs années, regrettera sans doute longtemps sa décision d’appeler le 911 pour se plaindre d’un homme qui lui demandait de mettre son chien en laisse.

« Ma vie entière est détruite en ce moment », a-t-elle déclaré à CNN mardi matin, avant même que son employeur n’annonce son licenciement.

L’incident, qui a enflammé les réseaux sociaux, est survenu lundi matin dans le Ramble, partie très boisée de Central Park et très prisée par les ornithologues amateurs. L’un d’eux, Christian Cooper, s’y trouvait vers 8 h lorsqu’il a croisé Amy Cooper (aucun lien de parenté), qui promenait son épagneul cocker sans laisse, en violation du règlement.

Christian Cooper, un Noir âgé de 57 ans, a demandé à Amy Cooper, une Blanche de 41 ans, de mettre son chien en laisse. La femme, qui dira plus tard avoir été saisie par la peur, a plutôt appelé le 911, tout en retenant son chien agité par le collier, scène que l’homme a filmée avec son téléphone portable.

« Je vais leur dire qu’il y a un homme afro-américain qui menace ma vie », a-t-elle déclaré en signalant le numéro, message qu’elle a repris en s’adressant à l’opérateur. « Il est Afro-Américain », a-t-elle répété.

En début d’après-midi, Christian Cooper a publié une vidéo de la dispute verbale sur sa page Facebook. Sa sœur, Melody Cooper, a fait de même sur son compte Twitter. Au moment d’écrire ces lignes, la vidéo avait été visionnée plus de 36,5 millions de fois.

Virée pour « racisme »

Il s’agissait d’un exemple particulièrement flagrant d’un phénomène amplifié par des technologies qui permettent de divulguer et de dénoncer des incidents qui demeuraient autrefois inconnus. Ce phénomène met en scène des Blancs qui composent le 911 pour dénoncer des Noirs sans raison valable.

En appelant la police pour une affaire de laisse, Amy Cooper a également alimenté un stéréotype, celui des « Karen », surnom dont les réseaux sociaux affublent les femmes blanches qui donnent l’impression que tout leur est dû. Dans son message accompagnant la vidéo, Melody Cooper a d’ailleurs accolé ce terme à Amy Cooper, incitant les médias américains à la baptiser « la Karen de Central Park ».

Mais les internautes n’ont pas seulement reproché à Amy Cooper son comportement à l’égard de Christian Cooper. Ils ont également dénoncé la façon dont elle a traité son chien Henry.

Dans la vidéo, on voit la femme tirer brutalement sur le collier de l’épagneul cocker pour le maîtriser.

Résultat : le refuge où Amy Cooper a adopté son chien il y a deux ans a annoncé lundi soir que celui-ci avait été confié à ses soins par sa maîtresse jusqu’à nouvel ordre. « Il est en sécurité et en bonne santé », a précisé l’organisme sur sa page Facebook.

Peu après, l’employeur d’Amy Cooper, la société d’investissement Franklin Templeton, a annoncé sur Twitter qu’elle avait été placée en congé administratif, le temps de mener une enquête interne. Moins de 24 heures plus tard, Amy Cooper était virée.

« Nous ne tolérons le racisme d’aucune sorte chez Franklin Templeton », a déclaré la société d’investissement sur son fil Twitter.

« Je ne suis pas raciste »

Selon un compte Instagram qui n’existe plus, Amy Cooper est née au Canada, a fréquenté l’Université de Waterloo, en Ontario, de 1998 à 2003 et a décroché un MBA à l’Université de Chicago en 2009. Mardi matin, elle a présenté ses excuses à « tout le monde, surtout à cet homme et à sa famille ».

« Je ne suis pas raciste. Je ne voulais pas causer du tort à cet homme d’aucune façon », a-t-elle dit sur CNN. Elle a attribué sa façon de réagir à la peur qu’elle avait éprouvée en se retrouvant seule face à un homme dans un coin isolé de Central Park.

Le maire de New York, Bill de Blasio, a rejeté cette explication, affirmant que la vidéo montrait du « racisme pur et simple ».

Diplômé de l’Université Harvard et membre du conseil d’administration de la Société nationale Audubon, vénérable organisation environnementale, Christian Cooper a évoqué Ahmaud Arbery, jeune Noir froidement abattu en Géorgie récemment, pour justifier sa décision de filmer sa dispute avec Amy Cooper.

« Nous vivons à l’ère d’Ahmaud Arbery où des hommes noirs sont abattus à cause des idées préconçues des gens concernant les hommes noirs, et il n’était pas question que je participe à ça », a-t-il dit à CNN.

Deux policiers ont répondu à l’appel d’Amy Cooper. Ils n’ont cependant pas écrit de rapport, en l’absence des parties impliquées dans la dispute. Le NYPD considère le dossier comme clos. Mais le président de l’Association civique de Central Park a demandé au maire de New York d’interdire à Amy Cooper l’accès au plus célèbre des parcs new-yorkais à vie.

« Nos membres sont très offensés par ce que cette femme a fait dans le parc », a déclaré Michael Fischer lors d’une conférence de presse.

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