Chronique

Les obligations vertes fleurissent

S’il fallait encore une preuve que l’investissement responsable n’est pas une lubie qui intéresse seulement une poignée de « granos », la Norvège vient de nous la fournir.

Son fonds souverain de 1000 milliards de dollars, le plus important de la planète, a dévoilé son intention de larguer complètement l’énergie fossile, lui qui a été alimenté pendant des décennies par la production de pétrole du pays scandinave.

Exit l’énergie sale. Mais d’autres investisseurs ne se contentent plus de montrer la porte aux pétrolières. Ils cherchent à investir dans l’énergie renouvelable, pour participer activement à la lutte contre le réchauffement climatique.

Cet appétit donne des ailes aux obligations vertes, dont la valeur des émissions a décuplé depuis quatre ans, pour atteindre 155 milliards à l’échelle mondiale en 2017.

Le Canada n’échappe pas à la vague. L’an dernier, la valeur des obligations vertes émises a touché 3,8 milliards, davantage qu’au cours des trois années précédentes combinées, rapporte le Climate Bonds Initiative.

Et l’année 2018 débute en lion, avec trois émissions totalisant 2,75 milliards durant le seul mois de janvier. La semaine dernière, l’émission de l’Ontario a été si populaire que le gouvernement en a doublé la taille, à 1 milliard de dollars.

Les émissions d’obligations vertes au Canada depuis le début de 2018

Banque mondiale

1 milliard

Gouvernement de l’Ontario

1 milliard

Banque européenne d’investissement

500 millions

Brookfield Renewable Partners

250 millions

À l’affût de cette nouvelle tendance en investissement responsable, deux sociétés de gestion de portefeuille montréalaises ont lancé récemment des fonds spécialisés dans les obligations vertes et dans le placement d’impact.

En novembre dernier, AlphaFixe a mis au monde un fonds d’obligations vertes qui comptera bientôt plus de 100 millions d’actifs pour près d’une douzaine d’investisseurs institutionnels, dont Bâtirente et Fondaction.

Le fonds contient, entre autres, des obligations vertes de la ville d’Ottawa qui vont servir à financer l’expansion de son système de transports en commun, ce qui permet d’augmenter le nombre d’usagers et de réduire les voitures sur les routes. Il renferme aussi des titres émis par la province de Québec pour financer les nouvelles voitures Azur du métro de Montréal et l’achat d’autobus moins gourmands en carburant. Encore là, l’impact sur le climat est mesurable.

« L’intérêt est très grand de la part des clients, que ce soit des communautés religieuses, des fondations ou encore des régimes reliés à des syndicats. Ces gens-là attendaient des solutions comme celle qu’on offre aujourd’hui. »

— Simon Senécal, gestionnaire, investissement responsable, chez AlphaFixe

Même son de cloche de la part d’Addenda Capital, qui a lancé, la semaine dernière, un fonds d’obligations d’impact pour les clients institutionnels. « Il y a un appétit », assure le président et chef de la direction, Roger Beauchemin. « Le placement d’impact va être la nouvelle normale d’ici quelques années », prédit-il.

Outre les changements climatiques, ce type de placement cible les domaines de la santé, de l’éducation et du développement communautaire. Le fonds contient notamment des titres des hôpitaux (CHUM et CUSM) et des universités, question d’améliorer les soins de santé et le taux de diplomation.

Même si ce genre de titres pourrait se retrouver dans un portefeuille d’obligations normal, l’étiquette verte ou responsable est loin d’être juste du marketing, affirme M. Beauchemin. C’est en ciblant des domaines précis que les investisseurs peuvent faire bouger les choses. « La finance, c’est le nerf de la guerre. C’est en allouant nos dollars qu’on permet à des projets d’avoir lieu », dit-il.

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Reste que l’univers des obligations vertes ou d’impact comporte une foule de nuances, d’où l’importance de faire la part des choses.

Il y a des obligations qui ne sont pas officiellement classées « vertes », même si elles le sont. Prenez certaines obligations d’Hydro-Québec. « Nous, on fait notre propre travail. On sait exactement où ça va aller, à quoi ça va servir. On peut savoir s’il y a un impact positif sur la réduction des gaz à effet de serre », explique M. Beauchemin.

À l’inverse, d’autres obligations sont étiquetées vertes, sans pourtant l’être vraiment.

L’an dernier, par exemple, la société énergétique Repfol a émis pour un demi-milliard d’obligations vertes. L’émission avait obtenu cette étiquette parce que l’argent était destiné à améliorer son procédé industriel. D’accord, mais comme il s’agit d’une raffinerie, cela n’aidera pas à limiter à 2 °C le réchauffement de la planète, comme le veut l’accord de Paris.

« Pour y arriver, il faut aller vers l’énergie renouvelable et cesser de brûler des carburants fossiles. Si on améliore l’efficacité d’une raffinerie, on augmente sa rentabilité et, donc, on prolonge sa durée de vie », expose M. Senécal.

Voilà la preuve que les investisseurs doivent faire leurs devoirs pour débroussailler l’univers des obligations vertes.

Pour le commun des épargnants qui voudrait investir dans les obligations vertes ou les placements d’impact, les choix demeurent limités. Mais l’outil de recherche d’Open Impact peut aider à faire un portefeuille qui convient à vos valeurs.

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