Attentats à Paris

Six façons de répliquer

Et maintenant, quoi faire face au groupe État islamique ? Troupes de combat au sol ? Intervention de l’OTAN ? Miner ses ressources financières ? Coup d’œil sur les différents scénarios.

1 DES FRAPPES AÉRIENNES

Elles ont déjà commencé alors que la France a largué hier 20 bombes sur deux endroits contrôlés par le groupe armé État islamique dans son fief de Raqqa, en Syrie (un poste de commandement, centre de recrutement, dépôt d’armes et centre d’entraînement terroriste). « Je ne vois pas [les frappes aériennes] comme une solution, mais le président Hollande a peu de marge devant lui », dit François Mabille, professeur de science politique à l’Université catholique de Lille et chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand. Le Canada a aussi bombardé hier avec deux avions un lieu de combat du groupe armé État islamique en Irak. Il s’agit des sixièmes bombardements canadiens du genre ce mois-ci.

2 DES COMBATS AU SOL

La France n’a pas de soldats au sol en Syrie et en Irak. Le président François Hollande jugeait en septembre qu’une telle option serait « inconséquente et irréaliste ». La coalition internationale compte une quarantaine de pays, mais seulement quatre d’entre eux (les États-Unis, le Canada, l’Allemagne et l’Australie) ont des forces spéciales au sol pour épauler les forces locales. Les experts consultés par La Presse ne croient pas que la coalition internationale dirigera des opérations de combat au sol en Syrie et en Irak. « Ça me semble irréaliste pour l’instant. Il faudrait entre 750 000 et un 1 million de soldats. Je ne vois pas la France ni un autre pays [envoyer ces soldats] », dit Aurélie Campana, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les conflits et le terrorisme à l'Université Laval et chercheuse à la Chaire Raoul-Dandurand. « Les États-Unis n’enverront pas de troupes et je ne suis pas sûr que la Russie soit prête à prendre ce risque elle aussi, dit le professeur François Mabille. Ça doit passer absolument par des forces locales. »

3 AIDER LES COMBATTANTS LOCAUX

« Les forces locales », donc. La coalition internationale prête essentiellement main-forte à trois groupes luttant contre le groupe armé État islamique : l’Armée libre syrienne, les combattants kurdes en Irak (les peshmergas) et les combattants arabes opposés à l’État islamique. « À eux trois, ils peuvent remplir le vide dans la région du nord de la Syrie [actuellement contrôlé en grande partie par le groupe armé État islamique] », dit Sami Aoun, directeur de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand et professeur à l’Université de Sherbrooke. Sa collègue Aurélie Campana est moins optimiste. « L’armée irakienne est particulièrement inefficace, il y a notamment des problèmes de loyauté, dit la professeure à l’Université Laval. Les Kurdes irakiens ne sont pas assez nombreux et ont aussi leur propre agenda, soit l’autonomie du Kurdistan irakien. »

4 LA COALITION OU L’OTAN ?

Doit-on riposter par le truchement de la coalition internationale formée en 2014 ou de l’OTAN ? Le traité de l’Atlantique Nord prévoit qu’une attaque contre un membre est une attaque contre tous les membres, et la France considère avoir été attaquée par le groupe armé État islamique. Les experts doutent toutefois de la possibilité d’une implication directe de l’OTAN. Pourquoi ? Parce que la Russie, qui n’est pas membre de l’OTAN, détient une partie de la solution en Syrie. « Ce serait plus compliqué d’y aller avec l’OTAN parce que ça indisposerait les Russes », dit le professeur François Mabille. Hier au G20, le président américain Barack Obama et le président russe Vladimir Poutine se sont entendus sur le fait que l’ONU pourrait agir comme médiatrice entre le régime de Bachar al-Assad et les mouvements d’opposition, a indiqué la Maison-Blanche. « C’est plus facile avec la coalition internationale qui regroupe aussi des pays comme la Jordanie, l’Arabie saoudite et le Maroc », dit le professeur Sami Aoun. Coalition ou OTAN, la Turquie devra jouer un rôle plus important. « Le président turc Erdogan ne peut plus fermer l’œil, dit M. Aoun. On a remarqué du changement, il est en train de faire des rafles pour démanteler des cellules de l’EI en Turquie. Il peut être un partenaire plus efficace et non un partenaire passif. »

5 L’ARGENT, NERF DE LA GUERRE

Il s’agit d’un enjeu aussi important que la stratégie militaire, selon les experts consultés par La Presse. « Il faut faire en sorte que Daesh [l’acronyme de l’EI utilisé en France] n’ait plus de ressources financières, dit le professeur François Mabille. Ils ont pris les banques, c’est un début d’État qui continue de commercer le blé, le coton et surtout le pétrole. Il y a des États qui lui achètent du pétrole. Il y a une interdiction, mais la coalition n’a pas de contrôle sur ce que les États font. [L’EI] paie ses soldats entre 100 $ et 1500 $ par mois. Sans argent, ce serait plus difficile d’attirer des recrues. » Sa collègue Aurélie Campana abonde dans le même sens. « Il faut arrêter d’acheter du pétrole par des groupes proches de l’EI, dit-elle. L’EI a aussi énormément d’organismes de charité dans plusieurs pays du Moyen-Orient. »

6 ET EN EUROPE

La lutte contre le terrorisme et l’État islamique doit aussi se faire en Europe. « Le travail est aussi important en Europe qu’en Syrie, dit le professeur Sami Aoun. Le meilleur véhicule pour la France pour sécuriser son territoire sont des contrôles plus solides sur son territoire. Bruxelles est considérée comme le ventre mou du terrorisme et de la radicalisation islamiques [en Europe de l’Ouest]. » Sa collègue Aurélie Campana, qui est originaire de la France, s’attend à un renforcement des services de sécurité en France, le « chemin le plus court » sur le plan politique, selon elle. « Je ne suis pas sûr que [le renforcement de la sécurité] soit viable à long terme, dit le professeur François Mabille, qui a vécu la majorité de sa vie à Paris. On ne mettra pas un militaire derrière chaque Français. »

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