Entrevue avec François Legault

Soulager la classe moyenne et les démunis

Québec — « Un ressentiment des plus pauvres face aux plus riches » gagne le Québec, constate François Legault. Le chef caquiste a son remède : faire payer les nantis pour soulager la classe moyenne et les démunis.

Dans une entrevue accordée hier à l’équipe parlementaire de La Presse, M. Legault n’a pas caché que l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche lui a permis de tirer « deux leçons ». Oui, « il y a l’intégration des immigrants qui inquiète une partie de la population ». Il a lui-même exploité ce thème au cours des derniers mois. Mais surtout, « il y a comme un ressentiment des plus pauvres face aux plus riches ».

Cette « angoisse financière », « c’est encore plus fort » que les craintes liées à l’immigration. « Beaucoup plus fort », a insisté François Legault, en bras de chemise dans ses bureaux du troisième étage du parlement, là où les fenêtres sont perchées à huit pieds du plancher.

Les libéraux « insensibles »

Il accuse le gouvernement d’être « insensible » à cette détresse. Le premier ministre Philippe Couillard a tout de même annoncé l’abolition de la taxe santé pour janvier prochain, un an plus tôt que prévu. Mais François Legault laisse entendre qu’il aurait fait les choses autrement, en maintenant une contribution pour les plus aisés. « Je n’exclurais pas ça », a-t-il dit, ajoutant que des analyses sont en cours à la Coalition avenir Québec.

Le gouvernement Marois a haussé le seuil d’imposition des plus riches. Le premier ministre Justin Trudeau vient de le faire au fédéral. Ainsi, le taux d’imposition combiné (fédéral-provincial) pour les revenus dépassant 140 000 $ est maintenant de 49,87 %, et de 53,31 % pour les gains supérieurs à 200 000 $.

« C’est difficile d’aller à plus que 50 % sur l’impôt, mais il faut peut-être revoir certaines taxes et certains tarifs [afin de faire payer les plus riches]. « C’est mon intention. »

— François Legault

Il n’a pas voulu donner beaucoup d’exemples. « Je ne veux pas, parce que je vais me scooper sur 2017 », a-t-il dit, sourire en coin.

Mais manifestement, le tarif des services de garde est dans sa ligne de mire. Le gouvernement Couillard a aboli la contribution universelle de 7 $ par jour pour la moduler en fonction du revenu. En faisant leurs déclarations de revenus, des contribuables de la classe moyenne « sont tombés sur le derrière » en constatant ce qu’ils devaient au fisc pour la garde d’un ou deux enfants, conséquence de la décision des libéraux. « Ils n’avaient pas cet argent-là. Alors il y a un problème avec les tarifs de garderie, on va vous revenir là-dessus. On est en train d’y travailler. »

Lorsque le gouvernement Marois avait augmenté l’impôt des contribuables qui gagnent plus de 100 000 $, François Legault avait soulevé des inquiétudes, dans la mesure où le Québec a « un rattrapage à faire depuis plusieurs années pour attirer plus de travailleurs bien payés, plus de ce qu’on appelle les riches au Québec ». Aujourd’hui, il ne craint pas un exode des nantis avec sa proposition. « Au Québec, on a besoin d’employés de la classe moyenne qui sont bien formés. Des vice-présidents à 150 000 $, 200 000 $, 300 000 $ par année, pas trop de misère à en trouver », a-t-il lancé.

Son objectif est de « se concentrer » sur la classe moyenne, tout comme sur ceux qui ne paient pas d’impôt. « Ça nuit à l’économie, cet écart grandissant entre les pauvres et les riches », a soutenu M. Legault, au moment où son adversaire péquiste Jean-François Lisée l’accuse de faire partie de « l’élite financière ».

La dette, un dogme ?

Le chef caquiste a déjà proposé de puiser dans les surplus du Fonds des générations, qui sert à rembourser la dette, pour financer un allègement fiscal de 1000 $ pour tout contribuable gagnant 150 000 $ ou moins. « C’est presque rendu un dogme, au Québec, la réduction de la dette », a dit le chef de la CAQ, qui a avalé l’Action démocratique du Québec, dont l’une des obsessions était pourtant ce boulet financier. « C’est bien beau, la dette du Québec, mais il faut penser à la dette des Québécois . »

« On n’arrivera pas à relancer l’économie du Québec à court terme si on ne donne pas d’oxygène aux Québécois. »

— François Legault

Pour étayer son propos, il cite un sondage diffusé lors de la guignolée des médias : « 36 % des Québécois n’ont pas 500 $ de côté pour faire face aux imprévus. Une personne sur trois ! »

Il reproche au gouvernement Couillard d’avoir alourdi « le fardeau taxes-tarifs-impôts des familles de 1300 $ » depuis son arrivée au pouvoir. Les jeunes ménages sont dans le rouge plus que jamais, a-t-il ajouté. En cinq ans, leur dette est passée de 50 000 $ à 125 000 $ en moyenne.

« Il y a des parents, des mères de famille, qui me disent : “À la fin du mois, on n’arrive pas”. Il y a une angoisse financière. Pourquoi ? Parce que les salaires sont trop bas au Québec. Quand on compare avec le reste de l’Amérique du Nord, nos salaires sont beaucoup trop bas. Et deuxièmement, nos taxes, tarifs et impôts sont beaucoup trop élevés par rapport à nos voisins. Donc, l’argent qui reste dans leurs poches est insuffisant. »

La mission de François Legault pour 2017 ? Prouver à la classe moyenne et aux plus pauvres qu’il peut combler ce qu’ils recherchent : le « besoin d’espoir ».

Entrevue avec Jean-François Legault

La CAQ et Montréal

La Coalition avenir Québec (CAQ) pourrait former le gouvernement sans remporter un seul siège dans l’île de Montréal, selon François Legault. « Si on prend les circonscriptions 450, Mauricie–Centre-du-Québec, Estrie, Québec et Chaudière-Appalaches, excluant le 514, là il y a 70 circonscriptions, a-t-il indiqué. Ça, ces 70 circonscriptions sont toutes prenables. » M. Legault reconnaît que, comme ancien péquiste, il peine à rallier les anglophones. Il ciblera « deux ou trois » circonscriptions francophones occupées par le Parti québécois dans l’espoir de percer dans l’île. La CAQ n’a jamais fait élire un député dans la métropole.

Entrevue avec Jean-François Legault

L’immigration

L’ouverture des Québécois à la diversité risque de disparaître si Québec n’encadre pas une fois pour toutes les accommodements religieux, prévient François Legault. « Tant qu’on n’encadrera pas l’intégration des immigrants […], il va y avoir une inquiétude qui va se développer et il va y avoir même un risque de dérapage », a prévenu le chef caquiste. La CAQ propose un « test de valeurs » pour les immigrants, l’interdiction des signes religieux chez les fonctionnaires en position d’autorité et une baisse du seuil d’immigration. M. Legault juge que ces propositions « pragmatiques » permettront d’éviter au Québec une vague populiste comme celles qui ont balayé le Royaume-Uni et les États-Unis.

Entrevue avec Jean-François Legault

Rambo  Gauthier

Bien qu’il se dissocie complètement du ton adopté par le leader syndical Bernard Rambo Gauthier, François Legault reconnaît que le nouveau politicien exprime des préoccupations légitimes. Lors d’un point de presse ponctué de jurons, la semaine dernière, M. Gauthier a prévenu qu’une « guerre civile » guette le Québec. Il a dit vouloir prendre le parti des gagne-petit face aux « élites ». « Il exprime une préoccupation qui n’est pas écoutée par une certaine élite, et j’inclus Philippe Couillard et le gouvernement libéral dans cette élite », a reconnu M. Legault.

Entrevue avec Jean-François Legault

L’électricité et l’Ontario

François Legault souhaite former des partenariats avec d’autres provinces pour construire de nouveaux barrages hydroélectriques. Il voudrait négocier avec Terre-Neuve-et-Labrador et le Nouveau-Brunswick, mais l’Ontario semble le marché le plus naturel pour la production québécoise. Cette province s’est engagée à fermer ses centrales au charbon et doit rénover ses centrales nucléaires. « Je ne vois pas comment l’Ontario peut rénover ses centrales nucléaires à trois fois le prix d’un barrage au Québec », a-t-il dit. M. Legault songe à créer une entité « corporative » séparée d’Hydro-Québec pour la construction de ces barrages en copropriété. Il serait aussi ouvert à ce que des travailleurs ontariens viennent au Québec pour participer aux chantiers.

Entrevue avec Jean-François Legault

L’énergie éolienne

Après des années à promettre un frein au développement éolien, François Legault se dit maintenant ouvert à la relance de cette filière. Si Québec exporte davantage d’électricité, la production éolienne permettra aux barrages de se remplir pendant les périodes de faible demande, explique-t-il. « À partir du moment où on n’est plus en surplus et où le coût de l’éolien a beaucoup baissé, ça devient intéressant de parler d’éolien, de biomasse, d’économie d’énergie, pour venir compléter le barrage », a-t-il dit.

Entrevue avec Jean-François Legault

Investissement Québec et Hydro-Québec

Il faut placer des « développeurs » et non des « banquiers » à la tête d’Investissement Québec et d’Hydro-Québec, selon François Legault. Car ces deux sociétés d’État manquent d’ambition. « J’ai un problème avec Investissement Québec et Hydro-Québec, avec leur manque d’envergure, a dit M. Legault. Ils ne voient pas assez grand. » Il souhaite qu’Investissement Québec soit plus « agressif » dans ses efforts pour attirer des capitaux dans la province. Il cite en exemple l’État du Tennessee, qui a offert de généreuses subventions à l’entreprise Electrolux pour qu’elle y déménage une usine qui se trouvait à L’Assomption.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.