Ma bouteille d’eau, mon soutien émotionnel

Le mot-clic #emotionalsupportwaterbottle compte plus de 140 millions de vues sur TikTok et le réseau social regorge de vidéos de gens qui parlent de leur attachement – ironique ou pas – à leur bouteille d’eau.

Charlotte Bellehumeur et Sarah Bonnafous, toutes deux dans la vingtaine, comptent parmi eux. Leur bouteille d’eau les suit partout où elles vont. « Je ne me sens pas bien quand je vais à des endroits, comme dans un bar ou à un spectacle, et que je ne peux pas l’apporter », explique Charlotte Bellehumeur.

Sa bouteille d’eau est à ses côtés en tout temps – au travail, sur sa table de chevet au moment de dormir et même au restaurant. Si elle ne l’a pas avec elle, elle se sent « anxieuse de ne pas être en mesure de boire s’il arrive quelque chose », confie en riant l’étudiante en géographie.

Elle avance quelques hypothèses sur les raisons de son lien à sa bouteille.

« Peut-être qu’avec mon TDAH, ça m’aide à me concentrer. Je crois que c’est un réconfort aussi. »

— Charlotte Bellehumeur

Son attachement a augmenté avec la pandémie, souligne-t-elle. La tendance sur les réseaux sociaux était d’avoir toujours une abondance de boissons, comme son café, son smoothie, son eau. « Je me suis habituée. »

Sarah Bonnafous l’avoue, elle se sent moins anxieuse avec sa bouteille d’eau à proximité. « S’il y a quelque chose d’incertain, je bois de l’eau […] on dirait que ça va régler mes problèmes », raconte-t-elle.

La chargée de projets en informatique appose des collants sur certaines de ses bouteilles. Passionnée de plein air, elle en a récolté au fur et à mesure de ses aventures. « Je suis fière d’avoir apporté ma bouteille à ces endroits, de l’avoir eue avec moi quand il faisait -30 °C comme 35 °C, dit-elle. Donc quand je suis anxieuse, juste de l’avoir, ça me rappelle que je suis capable. »

Attention aux comportements sécurisants

« Pour la majorité de la population, ce n’est pas très grave d’avoir ce genre de comportement avec sa bouteille », explique Frédéric Langlois, professeur titulaire au département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

Attention toutefois : avoir toujours sa bouteille avec soi peut devenir un comportement sécurisant. « Ça semble inoffensif de prime abord, mais à la longue, ça devient un problème si la personne se met à développer des comportements sécurisants comme celui-ci, détaille-t-il. C’est une manière de nourrir l’anxiété. »

« C’est du renforcement négatif, ajoute-t-il. Si, pour affronter une situation, tu as besoin de ces gestes-là ou de ces objets-là pour diminuer l’anxiété et te donner une impression de sécurité, ça peut renforcer le sentiment que tu en as besoin pour bien te sentir. »

« [Il faudrait] se limiter à la fonction normale de l’eau, donc de s’hydrater et pas de se sécuriser. »

— Frédéric Langlois, professeur titulaire au département de psychologie de l’UQTR

Est-ce que la pandémie aurait contribué à augmenter ces comportements ? Oui, affirme-t-il. « Ceux qui avaient un fond anxieux ont développé plus de comportements sécurisants. »

Rester hydraté, mais pas seulement

Cet attachement aux bouteilles d’eau découle en partie du discours sur l’importance de l’hydratation, croit Charlotte Bellehumeur.

« Les réseaux sociaux encouragent ça. Je suis beaucoup de comptes de sports depuis la pandémie et tout le monde a sa belle bouteille d’eau, sa grosse bouteille, et tout le monde parle d’hydratation. »

Certaines personnes ont aussi de nombreuses bouteilles d’eau et de marques différentes, selon leurs activités. Il y a la bouteille Stanley, la frank green, l’Hydro Flask, la Nalgene, la Owala, pour n’en nommer que quelques-unes. Sans compter les multiples couleurs offertes. Sarah Bonnafous utilise par exemple son Hydro Flask pour le bureau et sa Nalgene pour le plein air. « On dirait qu’il y a une bouteille d’eau pour chaque activité, dit-elle. C’est comme différentes parties de notre identité. »

Avoir sa bouteille d’eau avec soi, c’est bien – tant du côté environnemental que sur le plan de la santé – mais il ne faut pas en faire un dogme, rappelle Frédéric Langlois. « À certains moments de la journée, on n’a pas le temps de s’hydrater et il ne se passera rien de très grave. »

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