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Va-t-on perdre nos petits orteils à cause de l’évolution ?

B. Tremblay

Non. Mais on remarque depuis un certain temps que deux des trois phalanges du petit orteil sont souvent fusionnées dans les populations modernes.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ MCGILL

Campbell Rolian, anthropologue à l’Université McGill

On appelle « biphalangie » ce phénomène. « La biphalangie est remarquablement élevée », dit Campbell Rolian, anthropologue à l’Université McGill, qui a publié en 2009 une étude sur le rapetissement des orteils il y a 1,5 million d’années, dans le Journal of Experimental Biology. « Ça dépasse 80 % au Japon et 40 % aux États-Unis pour le petit orteil. On ne sait pas par contre quand la fusion apparaît. Est-ce que les bébés ont des biphalanges du petit orteil avant de commencer à marcher ? »

Les chasseurs-cueilleurs d’aujourd’hui, par exemple ceux de l’Amazonie ou des forêts africaines, ont-ils autant de biphalangie parce qu’ils ne portent pas de souliers ? « On ne le sait pas, il faudrait une étude dans cette population », dit Caley Orr, de l’Université du Colorado, qui a publié plusieurs études sur l’évolution du pied et de la main.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ DU COLORADO

Caley Orr, de l’Université du Colorado

« Je ne pense pas que la biphalangie soit un produit de l’évolution récente. Il ne semble pas y avoir d’avantage fonctionnel pour l’individu qui porte des souliers. Pour qu’il y ait une pression évolutive, il faut un avantage fonctionnel. Il est possible que la biphalangie soit négative pour la marche quand on est nu-pied, mais pas [moins] quand on a des souliers. Mais ça reste à démontrer. »

Quand nous marchons, nous nous servons de nos quatre orteils « latéraux » pour garder notre équilibre et du gros orteil pour nous propulser vers l’avant, explique M. Rolian.

Souvent, on a l’impression que le petit orteil sert seulement à s’accrocher dans les pattes du lit, mais il sert à la marche.

Campbell Rolian, anthropologue à l’Université McGill

N’empêche, la question de la disparition éventuelle du petit orteil fascine le commun des mortels. Les trois spécialistes de l’évolution du pied chez les hominidés consultés par La Presse sont unanimes sur ce point. « Mes étudiants me la posent souvent », explique Matt Tocheri, anthropologue de l’Université Lakehead, en Ontario, en entrevue de Java, où il travaille sur Homo floresiensis, le « hobbit » découvert en 2003 en Indonésie.

Il y a entre 1,5 et 2,6 millions d’années, les ancêtres de l’homme moderne ont vu une transformation majeure sur leurs doigts de pied : ils ont rapetissé, ce qui a facilité la marche debout, et surtout la course.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ LAKEHEAD

Matt Tocheri, anthropologue de l’Université Lakehead

« Les primates ont des doigts de pied plus longs pour pouvoir grimper aux arbres », dit M. Tocheri, auteur d’une étude sur le sujet publiée en 2018 dans PNAS. « Ils peuvent se servir de leurs pieds pour manipuler des choses, comme une main. D’ailleurs, les primates sont les seuls mammifères qui ont tous gardé cinq doigts et cinq orteils. Le cheval, par exemple, n’a plus cinq doigts, mais un seul sabot, les chats et les chiens ont quatre doigts sur leurs pattes arrière. »

N’empêche, les petits orteils sont-ils vraiment nécessaires à la marche ? « Instinctivement, je pense que oui, mais il faudrait vérifier avec un groupe de gens qui ont eu l’amputation du petit orteil, dit M. Rolian. Et les études sur les diabétiques, qui parfois doivent se faire amputer des orteils, portent surtout sur les gens qui ont perdu le gros orteil. »

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  • 41 %
    Proportion de biphalangie sur le petit orteil en Pologne
    Source : Surgical and Radiologic Anatomy
    2,1 %
    Proportion de biphalangie sur le quatrième orteil en Pologne
    Source : Surgical and Radiologic Anatomy
  • 46 %
    Proportion de biphalangie sur le petit orteil chez les Américains d’ascendance européenne
    Source : Homo – Journal of Comparative Human Biology
    44 %
    Proportion de biphalangie sur le petit orteil chez les Afro-Américains
    Source : Homo – Journal of Comparative Human Biology