De nouvelles voies pour le capital de risque

Après avoir enregistré une année record de plus de 12 milliards d’investissements dans une multitude de financements de jeunes start-up technologiques en 2021, l’industrie québécoise du capital de risque s’est passablement contractée l’an dernier en cumulant moins de 9 milliards de nouveaux financements. Quand on évoque trop souvent les mots « risques de récession », même le capital de risque devient soudainement plus prudent.

Le rythme des nouveaux financements dans les start-up a peut-être baissé l’an dernier par rapport à son niveau record de 2021, mais à près de 9 milliards, cela reste un bon rythme de croisière.

« Ironiquement, l’industrie du capital de risque est une industrie peureuse, c’est un oxymoron, mais c’est ça. Les gens se suivent et quand les taux d’intérêt ont commencé à monter, il y en a beaucoup qui ont reculé », me souligne Patrick Pichette, ex-directeur financier de Google et associé chez Inovia, une importante société de capital de risque québécoise.

« C’est normal, le capital de risque est une industrie cyclique. Quand le coût du capital est à zéro, c’est facile de lever des fonds, quand ça monte, il y a beaucoup d’entreprises qui se mettent en mode réflexion. Il est trop tôt pour dire comment l’année 2023 va se dérouler, mais il y a encore du capital de disponible », observe pour sa part Janie Béique, présidente du Fonds de solidarité FTQ.

Patrick Pichette et Janie Béique agiront jeudi comme coprésidents du congrès annuel de Réseau Capital, l’association du capital d’investissement au Québec, qui regroupe une centaine de membres de l’industrie, dont une cinquantaine de fonds de développement, des firmes d’avocats, de comptables, des bureaux d’assurances…

Inovia a quelque 2 milliards d’actifs investis ou en voie d’être investis dans des start-up au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde. Le Fonds de solidarité a pour sa part investi 2,3 milliards en capital de risque au cours des 10 dernières années, soit 57 % directement dans les entreprises et 43 % par l'entremise de fonds spécialisés comme Inovia.

Après deux ans de réunions virtuelles, les spécialistes du capital de développement vont se rencontrer durant toute la journée de jeudi pour réfléchir et discuter autour du thème Agissons maintenant, parce qu’il y a effectivement matière à action.

Les changements climatiques, la transition énergétique, les clivages géopolitiques et l’investissement ESG sont autant de facteurs qui viennent modifier le parcours habituel que suivait le capital de risque, dont la fonction première reste bien évidemment de générer des rendements.

Croisée des chemins

« On veut léguer à la prochaine génération une société prospère, verte, inclusive et un écosystème en santé, et il faut réfléchir à d’où va venir la richesse de demain, comment développer des entreprises qui ont des âmes », évalue Janie Béique.

Le Fonds de solidarité souhaite totaliser plus de 12 milliards d’actifs reliés au développement durable d’ici quatre ans, rappelle sa présidente, et la notion de rendements sociétaux est maintenant intégrée en Europe. Ces objectifs doivent se conjuguer aux ratios financiers espérés.

La PDG déplore toutefois le retard que l’Amérique du Nord a pris dans ses investissements en recherche et développement, en pointant notamment les 280 milliards que le gouvernement américain va investir pour ressusciter l’industrie des semiconducteurs aux États-Unis.

« On doit investir dans la transition environnementale et numérique, c’est ça, la priorité. »

– Janie Béique, présidente du Fonds de solidarité FTQ

Est-ce que le capital de risque pourrait donc davantage s’intéresser aux technologies propres, à celles qui vont contribuer notamment à assainir le bilan environnemental dont vont justement hériter les générations futures ?

Patrick Pichette pense que l’industrie du capital de développement n’aura d’autre choix que de revoir ses paramètres de valorisation ou au moins équilibrer ses cibles de rendement global.

« Oui, on va devoir financer davantage des start-up des technologies propres, mais il s’agit ici de capital patient. Il ne faut plus penser à obtenir cinq fois sa mise après trois ans ou dix fois en cinq ans.

« Dans les clean tech, tu peux espérer doubler ta mise en cinq ans et la multiplier par 20 sur 20 ans quand tu investis dans une technologie dont les applications seront exportables à l’échelle globale », anticipe le financier.

Patrick Pichette explique qu’Inovia n’investit pas dans la dopamine – les bingos électroniques ou Tinder – mais veut propulser les sociétés de conséquence, celles qui ont un impact dans leur environnement et pour la société en général.

Le spécialiste des entreprises technos estime que les entrepreneurs et les universitaires peuvent compter sur un écosystème technologique extraordinaire au Canada pour développer de nouvelles entreprises qui auront un impact sur la société.

« On a le capital, et les entrepreneurs ont la possibilité d’y avoir accès. La question est de savoir s’ils vont vouloir développer le 18Tinder ou un prochain Google. Pour une bonne idée, il va toujours y avoir du capital », assure l’associé d’Inovia.

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