Hockey Entrevue avec Jim Nill

Le flair du DG

Les gros centres offensifs ne courent pas les rues, entend-on souvent dans le milieu du hockey.

En poste depuis 2013, le DG des Stars de Dallas, Jim Nill, en a obtenu deux en un an !

Les Stars doivent leur deuxième rang du classement général aujourd’hui aux exploits de leur capitaine Jamie Benn, mais aussi au rendement de leurs deux centres Tyler Seguin et Jason Spezza.

L’acquisition de Seguin, septième compteur de la LNH l’an dernier malgré une absence de 11 matchs, pourrait s’avérer l’un des échanges les plus spectaculaires de l’histoire de la Ligue nationale de hockey. Nill était pourtant en poste depuis deux mois à peine.

« On vit dans un monde de plafonds salariaux, répond-il à La Presse au téléphone. Nous avons dressé la liste des masses salariales des équipes, des besoins de chacun, de nos besoins, mais ça n’était pas un secret que les Bruins allaient être coincés par le plafond. Ils venaient d’atteindre la finale, nous savions qu’ils seraient forcés de faire des changements. J’ai passé un coup de fil [à Boston] et nous avions les atouts qui les intéressaient. Nous avons eu de la chance. »

Nill était pourtant en poste depuis deux mois à peine. À 55 ans, il avait refusé de nombreux postes de directeur général au fil des années pour demeurer dans un rôle plus effacé, celui d’adjoint au DG des Red Wings de Detroit.

« Ma petite famille était encore jeune. Mes enfants fréquentaient encore l’école et je ne voulais pas déménager. Nous vivions aussi une situation familiale difficile. »

— Jim Nill

Sa femme, Bekki, était en effet atteinte d’un cancer incurable au foie, dix ans après avoir combattu un cancer du sein. On ne voulait pas l’éloigner de son personnel médical dans la région de Detroit. Le Dallas Morning News rapporte d’ailleurs que Nill s’est retiré de la liste des candidats au poste de directeur général du Canadien en avril 2013, avant la nomination de Marc Bergevin.

L’enthousiasme manifesté par sa femme à la suite de l’offre des Stars, en mai 2013, a fortement pesé dans la balance.

Il n’empêche, le défi s’annonçait titanesque sur le plan sportif. Les Stars n’avaient pas participé aux séries éliminatoires depuis 2008, il n’y avait pas de centre de premier plan digne de ce nom : on avait déplacé Jamie Benn à cette position par défaut et le deuxième centre, Cody Eakin, avait un potentiel offensif limité tandis que le troisième, Vernon Fiddler, était plus à l’aise au sein d’un quatrième trio. La défense affichait aussi un inquiétant manque de profondeur.

« Peu importe l’équipe, il y a toujours des choses à régler. Je savais que ça n’était pas parfait. On ne change pas de directeur général après une Coupe Stanley. On ne change pas le personnel après une Coupe Stanley. Je me sentais très à l’aise avec les nouveaux propriétaires et le président, Jim Lites, pour qui j’avais joué à l’époque. Il y avait eu une faillite, mais les nouveaux patrons amenaient de l’espoir. J’avais le sentiment que c’était le bon endroit pour moi. »

Malgré une saison de 67 points à sa deuxième année chez les Bruins, Tyler Seguin exaspérait ses patrons. On ne le trouvait pas assez sérieux et on était satisfait des deux premiers centres, Patrice Bergeron et David Krejci. Nill leur a offert deux ailiers au potentiel intéressant, Loui Eriksson et Reilly Smith, en plus de deux espoirs.

« Loui Eriksson était un ailier important pour nous, mais je connaissais très bien Tyler Seguin pour l’avoir côtoyé durant mes années comme recruteur à Detroit. Il jouait pour Plymouth [à 28 minutes de route à peine de Detroit] et je l’ai vu à l’œuvre régulièrement. Je connaissais aussi très bien son entourage. Il y a un processus de développement chez les jeunes, et il faut être patient. Ils font des erreurs. J’étais persuadé qu’il grandirait avec nous. Il a accepté de faire des changements. »

Seguin est devenu le centre parfait pour Jamie Benn. Il a obtenu 175 points en 161 matchs depuis son arrivée à Dallas. Et il a seulement 23 ans…

Un peu plus d’un an plus tard, Nill cédait les jeunes Alex Chiasson et Nick Paul en plus d’un choix de deuxième ronde pour obtenir son deuxième gros centre, Jason Spezza des Sénateurs d’Ottawa. Comme Seguin, Spezza est un deuxième choix au total dans la LNH.

« Pour faire de tels échanges, un DG doit disposer d’espace au sein de sa masse salariale et de jeunes atouts. Nous avions les deux. Les Sénateurs et Jason Spezza cherchaient à se séparer. Nous avions des jeunes qui intéressaient les Sénateurs et Jason a accepté de lever sa clause de non-échange pour se joindre à nous. »

Spezza a obtenu 62 points à sa première saison, l’an dernier. Il en a 10 en autant de rencontres cette saison. Chiasson n’a pas encore débloqué à Ottawa, tandis que Paul poursuit sa carrière dans la Ligue américaine à l’heure actuelle.

Nill a poursuivi ses emplettes cet été. Il a acquis l’ailier Patrick Sharp des Blackhawks de Chicago, eux aussi coincés par le plafond salarial. Il a embauché le défenseur Johnny Oduya pour pallier la perte de Trevor Daley, l’appât dans l’échange de Sharp.

Le DG des Stars a aussi mis la main sur un deuxième gardien numéro un, Antti Niemi, et convaincu Kari Lehtonen que le mariage pouvait fonctionner.

« Les statistiques disent qu’un gardien trop utilisé en saison régulière n’est pas performant en séries. Dans notre cas, la situation géographique rend nos voyages encore plus éreintants. Kari Lehtonen a disputé plusieurs matchs fatigué ou blessé l’an dernier. Mais il n’avait pas le choix. Il espérait avoir un répit, plus de temps pour se consacrer à l’entraînement. Antti et Kari se connaissent depuis leur jeunesse et ils font bon ménage. »

Nill a touché à tout chez les Red Wings. À titre de directeur du recrutement amateur, il est l’homme derrière les choix de Pavel Datsyuk, Henrik Zetterberg, Johan Franzen et compagnie. Il est allé cueillir le frêle Datsyuk, alors âgé de 19 ans, à l’aéroport lors de l’arrivée de celui-ci en Amérique.

Ken Holland affirme que la plupart des équipes à la recherche d’un DG lui ont demandé la permission de discuter avec Nill depuis sept ou huit ans.

« J’ai beaucoup appris avec Jim Devellano et Ken Holland et la famille Illitch, dit Nill. Ils m’ont appris à faire les bonnes choses. Je ne sais pas si j’aurais connu le même succès si j’avais accepté le poste plus tôt. C’est un travail délicat. Il faut gérer les gens, c’est-à-dire interagir avec les joueurs, les patrons, les médias et embaucher les bonnes personnes. La communication est importante. Il faut être honnête envers son entourage, le rendre responsable. »

« Si tu fais les choses de la bonne façon, les résultats sont généralement positifs. » — Jim Nill

Parmi les décisions dont il est le plus fier, l’embauche de l’entraîneur Lindy Ruff, dès son entrée en poste. « Il était dans la même situation que moi, c’est-à-dire au sein de la même organisation depuis 17 ans. Il a tout vécu, de bonnes comme de mauvaises saisons. Certaines années, l’équipe n’avait pas d’argent. D’autre part, Ruff disposait de l’un des meilleurs clubs de la Ligue. Il m’a impressionné en entrevue. Il a réussi à se réinventer. C’est un plaisir de travailler avec lui. Il est bon avec les jeunes. »

Droiture, intelligence, magnanimité et sensibilité se dégagent de cet homme au parcours personnel marqué d’épreuves. « C’est un honneur de travailler sous ses ordres, dira le directeur des communications des Stars, Tom Holy, qui n’avait pourtant pas besoin d’en ajouter. Il est sublime. J’en apprends tous les jours à son contact par sa façon de mener son groupe. »

Aux dernières nouvelles, le cancer de sa femme Bekki ne progressait pas et elle arrive à mener une vie normale pour le moment. C’est une nouvelle qui surpasse de loin ses échanges les plus géniaux.

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