Plongeon et plongée sous glace

Samedi, Lysanne Richard plongeait dans un trou dans la glace à partir d’une plateforme de 22 mètres. Notre journaliste, elle, se trouvait dans ledit trou, à titre d’apnéiste de sécurité, pour ensuite profiter d’un peu de plongée sous glace. Récit d’une superbe journée d’hiver ensoleillée où deux belles folies ont fait bon ménage.

Le coronavirus fait bien des ravages, mais il donne aussi du courage. Face à l’ennui, peut-être, certaines personnes ont décidé de repousser leurs limites. « Ça me fait du bien de vivre une nouvelle peur », déclarait Lysanne Richard en entrevue au 98,5 FM, la semaine dernière.

Cet hiver, il a fallu « embrasser sa nordicité » comme jamais ! Lorsque son calendrier de compétitions internationales s’est effacé pour ne laisser que des cases vides, la Québécoise a entrepris d’explorer les possibilités de plongeon dans sa province. L’ancienne artiste de cirque, deuxième au classement mondial de plongée de haut vol de la FINA et troisième du circuit Red Bull Cliff Diving, est devenue fort créative.

Elle a testé le fjord du Saguenay (le site de Tableau, qui pourrait maintenant recevoir des compétitions nationales, voire internationales), s’est attaquée à un record Guinness dans le bassin du Stade olympique et, samedi, s’est élancée avec vrilles et carpés dans une « piscine » glacée sur mesure.

Ça se passait dans une carrière privée de la région de Thetford, où la plongeuse s’est entraînée tout l’été. Le propriétaire de ce superbe trou d’eau bordé de falaises avait vu Mme Richard en entrevue et l’avait par la suite contactée pour lui offrir de s’entraîner chez lui. Il a lui-même construit la plateforme de 22 mètres afin de permettre à l’athlète de haut niveau d’avoir ses installations sur mesure au Québec.

De nature généreuse, la téméraire, mais prudente mère de trois enfants partage souvent sa plateforme avec son ami Yves Milord. L’homme, qui cumule pas moins de 40 ans d’expérience en plongeon de haut vol, a d’ailleurs lui aussi exécuté un saut en solo, samedi après-midi. Une demande dans le Livre Guinness des records est en cours pour ces exploits sportifs.

Cinq heures pour six secondes

C’est au terme d’une très longue et ardue matinée de travail physique réalisé par une vingtaine de bénévoles que la paire de trompe-la-mort a pu s’élancer de la falaise. Il fallait d’abord aménager un trou de 26 pieds sur 40 pieds dans une glace épaisse d’environ trois pieds. Cinq heures de travail acharné pour quelques secondes dans les airs et dans l’eau.

À 9 h, les scies mécaniques se déchaînaient sur le lac gelé, pour couper des blocs de glace qu’il fallait hisser hors de l’eau à grand renfort de « un, deux, trois, go ! ». Mais après deux bonnes heures de dur labeur, soit vers 11 h, le trou en forme d’ellipse n’était qu’au quart prêt.

Les vis à glace et les mousquetons rendaient l’âme les uns après les autres. Les scies commençaient à se fatiguer. Air Médic arrivait sur place à 14 h 30. Le saut devait se faire à 15 h. Il fallait accélérer la cadence et sortir la machinerie lourde. C’est alors que la pelle mécanique et les chaînes sont arrivées. À 13 h 30, mission accomplie. Le bain glacé était prêt à recevoir l’équipe de sécurité composée de plongeurs en apnée ainsi que, bien sûr, les deux vedettes du jour.

Dans une eau à 3 degrés

Qu’est-ce que ça prend pour être à peu près à l’aise, mais mobile et efficace dans l’eau à 3 degrés ? Une combinaison en néoprène épaisse d’au moins 5 mm, des bas et des gants ou mitaines de 5 à 7 mm, des palmes, un masque et un tuba. Il n’y a rien à faire pour les joues et les lèvres qui gèlent, la mâchoire qui n’arrive plus à bien articuler des mots simples après une quinzaine de minutes.

Vers 14 h, les membres de l’école de plongée Apneacity, responsables d’assurer la sécurité de Lysanne et d’Yves dans l’eau, sont donc partis revêtir leurs combinaisons d’hommes – et de femmes – grenouilles.

Un petit nombre d’amis, de membres de la famille et de locaux s’était présenté à la carrière secrète pour assister au très bref, mais excitant moment. À 15 h 15, les apnéistes s’étaient glissés dans l’eau et attendaient de voir apparaître une version miniature de Lysanne Richard au bout de sa plateforme à 22 mètres au-dessus de leurs têtes, qui devaient ressembler elles aussi à des punaises d’eau pour la plongeuse.

Au moment où elle signale qu’elle est prête, avec deux pouces en l’air, nous commençons à agiter l’eau pour l’aider à visualiser la surface. Un jet remue aussi l’eau afin de la rendre moins dense et d’amoindrir le choc à la réception.

Trois secondes plus tard, la plongeuse est à moins de cinq mètres sous l’eau. Les apnéistes ont à peine eu le temps de descendre aussi que la frileuse est déjà remontée comme une flèche. Premier défi réussi.

La (petite) foule est en délire ! C’est au tour d’Yves, qui suit le même protocole et réussit également son saut. Il y en aura un deuxième, en tandem, qui doit demeurer secret, pour l’instant.

Une petite équipe documentaire suit tous les faits et gestes de Lysanne Richard depuis plusieurs semaines. C’est à la sortie de ce court métrage, au printemps, que le public pourra enfin voir les plongeons sous tous leurs angles, avec leurs entrées à l’eau. Le film s’attardera aussi aux préparatifs nécessaires à la pratique de ce sport extrême, que la Saguenéenne a l’intention de rendre de plus en plus spectaculaire.

Quant aux apnéistes, ils sont retournés barboter sous la glace dimanche, profitant de cette ancienne mine à ciel ouvert remplie d’eau de pluie, normalement inaccessible.

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