On compte encore les disparus

Au moins sept personnes manquent à l’appel après l’incendie qui a ravagé jeudi un immeuble patrimonial du Vieux-Montréal. Certaines des victimes pourraient y avoir loué un logement sur Airbnb, une pratique pourtant non autorisée dans ce secteur de la ville. Les pompiers ne pouvant pas fouiller les décombres avant le démantèlement de la façade, plusieurs questions demeurent entières.

Sept personnes manquent à l’appel

« Ça n’aurait pas dû arriver », déplore Louis-Philippe Lacroix, dont la fille de 18 ans, Charlie Lacroix, est disparue dans l’incendie qui a ravagé un immeuble de la place D’Youville, jeudi dernier. Il n’est pas le seul en deuil : au moins sept personnes manquent à l’appel, a confirmé le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) en fin de soirée.

Les enquêteurs n’excluent pas qu’un nombre plus élevé de victimes se trouvent dans les décombres, a indiqué le SPVM lors d’un point de presse, samedi soir.

Un incendie majeur a ravagé un immeuble patrimonial de la place D’Youville dans le Vieux-Montréal, jeudi matin.

Parmi les occupants de l’édifice, des touristes qui avaient loué des appartements sur la plateforme Airbnb, pourtant non autorisés dans cette zone de la métropole, a confirmé le commandant aux incendies criminels du SPVM, Steve Belzil.

Selon Louis-Philippe Lacroix, sa fille avait loué un appartement pour une soirée sur un site de location à court terme.

« Il y a eu deux appels au 911 en trois minutes, par ma fille et par le garçon avec qui elle était, pour dire qu’il y avait un feu et qu’elle n’était pas capable de sortir, car il n’y avait pas de fenêtre. La première fois, c’était ma fille qui parlait, et trois minutes après, c’était le garçon. Les deux fois, ils disaient : “Venez nous chercher, on ne peut pas sortir” », raconte M. Lacroix, citant les informations que les autorités lui ont fournies.

Une source proche de l’enquête a confirmé à La Presse que la centrale 911 avait reçu plusieurs appels de détresse de gens qui n’arrivaient pas à fuir l’édifice en flammes.

Démantèlement

En fin d’après-midi, des bouquets de fleurs commençaient à s’accumuler devant les décombres de l’édifice incendié. À travers les fenêtres éclatées, l’intérieur carbonisé du bâtiment était exposé aux passants.

Les pompiers ne peuvent toujours pas pénétrer sur les lieux de l’incendie en raison d’inquiétudes sur l’état de la structure du bâtiment.

En fin de soirée, le chef de division au Service de sécurité incendie de Montréal (SIM) Martin Guilbault a annoncé que le démantèlement de la façade débuterait ce dimanche en matinée afin de permettre la recherche des dépouilles.

« Notre intervention chirurgicale se fera dans le plus grand respect des victimes qui pourraient se trouver à l’intérieur des décombres », a précisé M. Guibault. Les pierres seront entreposées et conservées.

Le propriétaire de l’immeuble, Émile Benamor, a été rencontré afin de « faire le portrait des étages avec les unités », a ajouté Steve Belzil.

M. Benamor possède une quinzaine d’immeubles sur le territoire de Montréal, dont plusieurs maisons et immeubles à logements multiples, selon le Registre foncier. Par le passé, le propriétaire a eu des démêlés avec la Ville au sujet de certains de ses immeubles, dont une maison de chambres illégale récemment évacuée.

Joint brièvement au téléphone par La Presse, Émile Benamor a raccroché sans répondre à nos questions. « Parlez à mon avocat », a-t-il laissé tomber.

MAlexandre Bergevin, l’avocat d’Émile Benamor, a déclaré que des locataires qui habitaient l’immeuble faisaient effectivement de la sous-location à court terme illégalement sur Airbnb, mais il assure que le propriétaire lui-même n’a jamais fait de telles locations à court terme.

« Il n’y a pas eu d’alarme de feu »

À Radio-Canada, Alina Kuzmina et son conjoint ont témoigné avoir échappé aux flammes. « Il n’y a pas eu d’alarme de feu, aucun son, aucun mot. On a été réveillés par la fumée et par le bruit du feu. Mon mari a attrapé une botte, il a fracassé la fenêtre, et c’est comme ça qu’on a réussi à sortir », a raconté l’Ontarienne de passage à Montréal.

Initialement, une seule personne, une femme de 70 ans, manquait à l’appel.

Lors de l’incendie, neuf personnes ont été transportées à l’hôpital, et deux d’entre elles sont toujours hospitalisées en raison de brûlures graves, a indiqué M. Belzil samedi. Un pompier a aussi été blessé pendant qu’il combattait le brasier, car il a reçu du sang d’une victime dans l’œil.

Cause inconnue

La cause de l’incendie n’a pour l’instant pas été déterminée. Il est trop tôt dans l’enquête pour évaluer si des manquements au code du bâtiment pourraient avoir causé l’incendie ou être en partie responsables de la mort de ses occupants.

« Présentement, on ne peut rien confirmer », a déclaré M. Belzil, précisant que la thèse d’un incendie criminel n’était pas écartée.

Dès ce dimanche, les enquêteurs vont commencer à expertiser la scène avec l’assistance de pathologistes. Jeudi, Martin Guilbault, du SIM, avait soutenu en point de presse que « les détecteurs de fumée dans certains des logements étaient possiblement déficients », ce qu’il n’a pas réitéré samedi.

« Vu qu’on n’est pas encore entrés dans le bâtiment, on ne peut pas confirmer ou infirmer la présence d’avertisseurs de fumée, a-t-il dit. Ça va faire partie de l’enquête qu’on va mener dans les prochains jours. »

Les résidants du secteur qui avaient dû être évacués ont pu réintégrer leurs logements. Les immeubles voisins du foyer d’incendie ont été épargnés par les flammes.

Vieux-Montréal

Des centaines de logements Airbnb illégaux

Dans tout le Vieux-Montréal, il est interdit de louer des appartements à des touristes. Or, on retrouve sur Airbnb des centaines de ces logements illégaux. La Ville ne fait pas d’inspection pour faire respecter sa réglementation sur les résidences de tourisme, s’en remettant au gouvernement du Québec, dont les inspecteurs n’ont pas pour mandat d’appliquer les règlements municipaux.

Que ce soit un lit dans un dortoir d’une pseudo « auberge de jeunesse » à 34 $ la nuit ou un loft avec mur de pierre rénové au goût du jour à 2000 $ la nuit, les offres pullulent pour le Vieux-Montréal, sur Airbnb et d’autres plateformes de location touristique en ligne.

Certaines des victimes de l’incendie qui a ravagé un immeuble patrimonial de la place D’Youville, jeudi dernier, seraient des touristes qui y avaient loué une chambre ou un appartement pour quelques jours, selon le Service de sécurité incendie de Montréal.

Sur Airbnb, on retrouve plus de 1000 annonces de logements ou de chambres dans le Vieux-Montréal.

Comment est-ce possible, alors que de telles résidences de tourisme louées à court terme y sont interdites par le zonage municipal ? Que fait la Ville pour appliquer ses règlements ?

10 établissements autorisés

Officiellement, on trouve seulement « 10 établissements ayant comme usage “résidence de tourisme” dans le secteur historique du Vieux-Montréal », indique une porte-parole de l’arrondissement de Ville-Marie, Kim Nantais, qui répondait par écrit la semaine dernière aux questions de La Presse.

Ces établissements bénéficient de droits acquis et étaient déjà exploités quand l’arrondissement a adopté, en 2018, son règlement limitant les locations touristiques au secteur de la rue Sainte-Catherine, entre les rues Atateken et Saint-Mathieu.

« Aucun nouvel établissement n’a obtenu de certificat d’occupation pour cet usage depuis 2018 », ajoute Mme Nantais.

Il y a 45 certificats d’occupation pour l’usage « résidence de tourisme » actuellement sur le territoire de l’arrondissement de Ville-Marie, alors qu’on y trouve 4155 annonces de logements sur Airbnb, selon le site Inside Airbnb.

Y a-t-il des inspecteurs municipaux pour faire respecter le règlement ? Non, répond Mme Nantais.

« La location à court terme (hébergement touristique) relève du gouvernement du Québec qui doit octroyer une attestation de classification et un numéro d’établissement, explique-t-elle. Lorsqu’une plainte est déposée à l’arrondissement de Ville-Marie, celle-ci est transmise à Revenu Québec qui est mandaté pour effectuer les inspections, les enquêtes et pour remettre les constats d’infractions ayant trait à l’application de la Loi sur l’hébergement touristique. »

Vérification faite auprès de Revenu Québec, on nous répond que leurs inspecteurs « n’ont pas le mandat d’appliquer la réglementation municipale, mais plutôt la Loi sur l’hébergement touristique », indique la porte-parole, Mylène Gagnon, dans une réponse écrite transmise à La Presse mardi dernier.

« Une municipalité voit au respect de sa réglementation, notamment par l’entremise de ses inspecteurs en urbanisme qui peuvent constater des infractions. Elle peut demander que cessent des usages prohibés et, si requis, intenter des poursuites à cette fin », précise Jean-Manuel Téotonio, porte-parole du ministère du Tourisme, dans un courriel envoyé jeudi.

Application de la loi

La Loi sur l’hébergement touristique exige que les logements loués à court terme à des touristes soient enregistrés auprès de la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ) et que leur numéro d’inscription soit affiché à leur entrée et sur leur annonce, publiée en ligne ou ailleurs. Les propriétaires qui n’ont pas ce numéro d’enregistrement peuvent être sanctionnés par Revenu Québec.

Dans les faits, une minorité d’annonces en ligne du site Airbnb pour des logements au Québec affichent un numéro de la CITQ.

Dans la plupart des arrondissements montréalais, il faut d’abord avoir obtenu un permis d’occupation pour activité commerciale afin de pouvoir s’enregistrer auprès de la CITQ. Ailleurs, il faut obtenir un avis de conformité de sa municipalité.

Pourquoi ne pas demander à Airbnb d’exiger le numéro de la CITQ avant d’afficher des annonces ?

« Les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’affichage du numéro d’enregistrement […] s’appliquent à l’exploitant d’un établissement d’hébergement touristique et non à ceux qui diffusent l’offre d’hébergement », répond M. Téotonio.

Plusieurs arrondissements montréalais, comme Ville-Marie, Le Plateau-Mont-Royal, Rosemont–La Petite-Patrie et Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, limitent l’hébergement touristique à quelques secteurs commerciaux ; Verdun interdit carrément la location commerciale de logements de courte durée.

Au cabinet de la mairesse Valérie Plante, on se défend d’être laxiste quant aux mesures prises pour faire respecter ces interdictions.

« Depuis 2018, nos arrondissements s’activent pour réglementer et encadrer la pratique des locations de courte durée à Montréal. On a modifié les règles de zonage dans plusieurs arrondissements pour limiter la pratique à des secteurs précis. De son côté, le gouvernement du Québec a donné les pouvoirs nécessaires aux inspecteurs de Revenu Québec afin de faire respecter la Loi sur l’hébergement touristique », souligne l’attachée de presse, Marikym Gaudrault, dans une réponse écrite envoyée samedi soir.

« Depuis des années, la Ville sonne l’alarme pour obtenir les ressources nécessaires de Revenu Québec afin de sévir contre les contrevenants. Avec l’arrivée de la nouvelle réglementation du Gouvernement du Québec le 25 mars prochain, on réitère l’urgence d’aller encore plus loin pour encadrer les pratiques illégales d’hébergement touristique. »

La Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) a aussi demandé par le passé une application plus stricte de la loi régissant la location touristique à court terme. Selon un sondage mené l’année dernière auprès de 1200 de ses membres, 4,78 % disaient s’être retrouvés dans des situations où des locataires, sans l’autorisation du propriétaire, avaient sous-loué illégalement un logement sur une plateforme de type Airbnb.

De leur côté, les représentants d’Airbnb n’ont pas donné suite à la demande d’entrevue de La Presse.

l’application de la Loi sur l’hébergement touristique en chiffres

Données du ministère du Revenu, depuis le 1er avril 2022

Inspections : 2342

Inspections non conformes : 1261

Constats d’infraction signifiés : 1481

Condamnations : 1205

Montant des amendes : 4,9 millions

Nombre d’annonces à Montréal selon le site Inside Airbnb : 14 000

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