Opinion

La solidarité a une date de péremption

Depuis le début de la pandémie, je me questionne quotidiennement sur l’ampleur de ma naïveté et je tente de m’expliquer le comportement des gens.

Est-ce par mauvaise compréhension de l’impact de leurs gestes ? Mais avec toute la médiatisation des scénarios d’horreur à l’étranger, des morts, des directives de la Santé publique, qui sont très claires et d’ailleurs toujours en place, je ne peux que me résigner à accepter (ou plutôt m’indigner de) cette vérité : la majorité des gens agissent par égoïsme. Parce qu’ils ont décidé que leur plaisir valait plus qu’une vie qui n’est pas la leur.

Au tout début, beaucoup arboraient fièrement l’autocollant « Stay Home » ou « Thanks Health Heroes » dans leurs stories Instagram pour montrer leur application des règles et leur solidarité envers les plus vulnérables.

Où sont rendus ces gens ? Pourquoi n’encouragent-ils plus la distanciation physique ou le port du masque ? Parce que l’ennui a pris le dessus.

Au début, le gouvernement demandait aux Québécois de respecter les règles par solidarité. Après trois mois, on se rend compte que cette solidarité a une date de péremption. Les nouvelles campagnes de communication nous demandent plutôt de respecter les règles pour ne pas que notre propre petite personne ait à revivre le confinement. Quand même le gouvernement réalise que viser l’individualisme est une meilleure stratégie que parler de solidarité…

À quel point est-ce difficile de faire des efforts et de s’adapter si c’est pour sauver des vies ? Le virus circule encore. Il est sournois, souvent invisible et triomphe grâce à l’insouciance collective. Il en faudrait peu pour revenir à la situation d’il y a quelques semaines à peine. Mais c’est comme si tant que ce n’est pas arrivé à quelqu’un dans notre entourage immédiat, nous ne sommes pas concernés. Depuis quand l’être humain est aussi peu altruiste ? Depuis toujours, il faut croire.

Une soirée lourde de conséquences

Beaucoup penseront : « Je ne suis pas visé par ce message, je me tiens uniquement avec des jeunes sans symptômes, qui ne sont pas à risque de complications, donc je ne mets personne en danger. » Faux. Imaginons une soirée passée entre amis. Vous êtes une douzaine. Tous en santé, pas de maladies chroniques, aucun symptôme de la COVID-19 (même si nous savons tous que vous pouvez être porteur asymptomatique). Vous mangez assis autour de la même table. C’est l’fun, vous prenez des photos collés, collés et vous donnez des câlins en quittant la fête.

Ce que vous ne savez pas, c’est qu’une de vos amies a visité ses parents il y a quelques jours, qui eux aussi ont reçu de la famille à souper. Elle a été en contact avec un cas de COVID-19 asymptomatique à ce moment. Elle ne le saura jamais, puisqu’elle ne développera pas de symptômes. À cette soirée, trois d’entre vous l’attrapez à votre tour sans le savoir. Vous continuez d’aller à l’épicerie, vous soupez en famille, vous travaillez. Tous des lieux qui sont maintenant à risque de propagation du virus. Quelques semaines plus tard, vous transmettez le virus à votre père, qui se retrouve intubé à l’hôpital, malgré qu’il soit relativement en bonne santé, mis à part son hypertension artérielle.

Voyez-vous comment la situation peut déraper sans préavis ?

Le virus circule encore. Il est sournois, souvent invisible, et triomphe grâce à l’insouciance collective. Alors elle est où, la prévention ? Elle est où, la solidarité ?

Imaginez un instant l’indignation et la colère que vous ressentiriez si on vous disait que personne n’est à votre disposition pour soigner votre père alors qu’il est en détresse, parce que l’hôpital manque de personnel. « Pourquoi ? », leur demanderez-vous. Parce que les professionnels de la santé sont épuisés. Parce qu’ils ne peuvent prendre congé malgré leur détresse physique et psychologique. Parce qu’ils sont essentiels à la survie des gens et de leurs proches (ces mêmes proches qui ne respectent pas les règles pour leur propre plaisir). Ironique, right ?

Je ne peux même pas protéger entièrement ceux qui me sont chers. Je m’expose quotidiennement à des patients qui ne portent pas le masque, et je ne parle pas ici de personnes âgées avec troubles respiratoires qui ont une bonne raison de ne pas le porter. Le soir, je retrouve mon conjoint immunosupprimé à la maison. Nous avons cessé de nous embrasser pendant presque quatre mois pour éviter le pire. Et plus le temps passe, moins les gens sont prudents. Ce qui veut dire que nous, nous devons l’être de plus en plus.

Pensez à ça. Pensez à ceux qui, contrairement à vous, ne prennent pas la décision de s’exposer volontairement à ce risque et qui n’ont pas le luxe de pouvoir subir les conséquences de vos gestes. Les décisions que vous prenez et les gestes que vous faites ne touchent pas que vous.

J’essaie d’aborder le sujet de façon ouverte, d’échanger dans le but de sensibiliser et non de réprimander mon entourage. Mais je me sens parfois jugée ou incomprise, même par certaines personnes proches de moi.

On sous-entend que j’exagère. Que je dois vivre et laisser vivre. Puis je me demande : depuis quand les personnes qui respectent les règles sont celles qui doivent se justifier ?

Je suis consciente que mes paroles ne changeront pas le monde, mais j’espère qu’elles sèmeront au moins la réflexion et l’introspection chez certains d’entre vous.

Et souvenez-vous : le virus circule encore. Il est sournois, souvent invisible, et triomphe grâce à l’insouciance collective. Chaque geste à risque que vous faites est une menace envers une vie qui n’est pas la vôtre.

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