Opinion : CLSC de Joliette

La peur du silence

Dans sa chronique du 19 mars 2021, Isabelle Hachey revient sur le congédiement de deux infirmières accusées de « racisme », et rend compte du point de vue du président du syndicat.

En voici quelques extraits :

« Une ironie suprême : selon leur syndicat, c’est… la formation elle-même qui aurait mené au congédiement des deux infirmières ! »

Selon le président du syndicat : « Mais elle a essayé d’entrer en contact parce que Mme Ottawa, c’est une madame réservée, qui ne parle pas beaucoup. »

« Ce serait aussi dans l’espoir de briser la glace que cette même infirmière a demandé à Jocelyne Ottawa si on l’appelait Joyce dans sa communauté. »

« Le silence s’est installé. Et le malentendu n’a jamais été dissipé. »

Différences culturelles

Or, se pourrait-il que la formation (de deux heures…) ait passé un peu rapidement sur des différences culturelles en matière de communication interculturelle ? Les Québécois entrent en communication entre eux bien souvent au moyen du small talk ou du bavardage : la météo, le hockey, la nouvelle de l’heure, etc.

À Joliette, serait-ce plutôt la « peur du silence » qui aurait provoqué le « malentendu » ? À la réticence de la patiente atikamekw (le racisme est connu à l’hôpital où a eu lieu la mort de Joyce Echaquan !) s’est ajouté son silence peu rassurant pour les infirmières, d’où le bavardage précipité de leur part et le malentendu. « Mon grand-père t’aurait dit que tu parles pour ne rien dire… », m’a répondu, sourire en coin, un Cri de la Baie-James, lorsque j’entrais en communication avec lui en disant que malgré l’été il faisait froid…

À la suite de la crise d’Oka, j’ai commencé à donner des séances de formation à des employés de différents ministères fédéraux sur la question des Autochtones. Il s’agissait de contrer la « discrimination systémique » (déjà, il y a 30 ans…) dans le cadre de la mise en œuvre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.

Au cours de mes séances de formation, je cessais stratégiquement de parler pendant 10 à 15 secondes en regardant ma montre. Et je demandais à mes participants comment ils se sentaient. À tout coup : un malaise s’installait.

Dans mes mises en situation, puisque je m’adressais souvent aux « ressources humaines », je demandais comment ils évalueraient un candidat pour un emploi s’il régnait un silence de 10 à 15 secondes à la suite d’une question. On avait tendance à associer ce silence à un manque de performance, ce qui n’était pas le cas pour un éventuel candidat qui répondrait rapidement et qui, bien souvent, répondrait à des questions qui n’avaient pas encore été posées…

Lors d’une séance de formation en Mauricie et à propos des Atikamekws, une fonctionnaire s’exclama : « Monsieur Trudel, ils ne parlent pas… au téléphone ! » C’est alors que je m’adonnais à ma petite séance de silence… Pourquoi êtes-vous mal à l’aise ? Parce que certains Autochtones ne pratiquent pas le small talk… ? Où est le « problème » ? Qui est le « problème » ?

La précipitation en matière de formation interculturelle est mauvaise conseillère… Mieux vaut garder le silence !

D’autre part, pendant au moins 20 ans, les participants et participantes à ces séances de formation (souvent de deux jours…) m’ont constamment répondu qu’il ne suffit pas de punir une personne qui s’adonne à la discrimination pour changer la société. L’éducation constitue, selon eux, la formule à retenir.

Ce n’est pas suffisant, leur répliquais-je : le concept de « discrimination systémique » permet d’instaurer des règles d’administration publique qui elles aussi contribuent grandement à changer la société. Au niveau supérieur, il ne faut pas « garder le silence » quant à la nécessaire volonté politique de mettre en œuvre ces règles d’administration publique et l’obligation de reddition de comptes annuelle. Négliger cet aspect de la discrimination mène directement à Joliette !

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