Industrie de la porno

Grosse poursuite autour du financement de la porno

Les suites du déjeuner du 18 juin 2010 à l’hôtel Reine Elizabeth, à Montréal, auraient pu rester secrètes, tout comme les détails financiers de l’empire porno de Fabian Thylmann.

Toutefois, un litige quant au partage de la commission pour le financement de son entreprise de porno Manwin a émergé devant les tribunaux, en février 2012. Certains documents sont ainsi devenus publics au fil du temps, notamment les interrogatoires des dirigeants concernés.

Les deux protagonistes sont les financiers Samuel Havida, de Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT), et Claude Delage, d’IBS Capital.

En gros, RCGT soutient qu’en 2011, le courtier IBS aurait dû reverser 2,5 millions US de la commission reçue à un sous-courtier américain grâce à qui les 412 millions US ont été trouvés (1).

La suite est digne d’un roman. En décembre 2012, Thylmann est arrêté en Belgique sous des soupçons d’évasion fiscale. Il est extradé en Allemagne, emprisonné quelques jours, puis libéré moyennant une caution de 10 millions d’euros.

Dans la foulée de ces procédures, Thylmann est contraint de revendre son empire de la porno aux cadres montréalais de l’entreprise (2).

Son entreprise Manwin est ainsi devenue MindGeek. Le siège social est demeuré au Luxembourg, bien que les principales activités et les deux tiers des 1400 employés soient à Montréal, selon le reportage de mon collègue Maxime Bergeron publié l’an dernier. La vente a officiellement été scellée en octobre 2013.

Or, qui dit transaction dit nouveau financement. Selon des documents judiciaires déposés à Montréal, la vente a entraîné un nouvel emprunt de l’ordre de 357 millions US. Cette somme s’ajouterait à la dette de l’organisation contractée en avril 2011 et dont le solde se serait alors élevé à 260 millions US.

Encore une fois, c’est la firme Colbeck et ses partenaires qui ont avancé les fonds, sous la coordination de RCGT. Cette deuxième ronde de financement permet à RCGT de toucher le pactole, encore une fois, avec une commission qui excède les 20 millions US, selon les documents produits en cour.

Le financement ne passe toutefois pas comme une lettre à la poste. D’abord, chez RCGT, l’associé Samuel Havida a menacé de tout faire foirer et de quitter la firme comptable s’il n’obtenait pas une part personnelle de la commission, d’environ 8 millions, selon mes sources. Cette exigence est hors norme, mais il est minuit moins une et la direction de RCGT finit par plier.

Ensuite, le refinancement a créé un rebondissement dans le litige entre RCGT et IBS Capital. IBS veut sa part de la nouvelle commission de plus de 20 millions US. La firme soutient que son entente de l’été 2010 avec RCGT engloberait tout financement éventuel que pouvait effectuer Manwin avec Colbeck dans les 18 mois suivant la première transaction.

IBS a donc intenté une contre-poursuite contre RCGT en juillet 2016 pour lui réclamer 7,4 millions US.

RCGT se défend vigoureusement. Le mois dernier, la firme comptable a demandé au juge de déclarer cette poursuite abusive, affirmant essentiellement qu’une telle clause de 18 mois n’était pas en vigueur. L’affaire suit son cours.

À l’origine, Fabian Thylmann et son entreprise Manwin étaient parties à la poursuite contre IBS. Toutefois, ils ont été éjectés des procédures en novembre 2015 parce que Thylmann a omis de fournir des documents complets à IBS, comme l’exigeait le juge. Entre autres documents figurent le contrat de vente de son entreprise Manwin aux cadres de l’entreprise et le contrat de financement.

À ce sujet, le juge Thomas Davies a eu ce commentaire particulier : « Les réponses de Fabian Thylmann sur les transactions d’octobre 2013 lors de l’interrogatoire permettent de mettre en doute le niveau de contrôle qu’il maintient sur les affaires de Manwin. »

Bien que Thylmann ait été éjecté des procédures à Montréal, sa bataille contre les autorités allemandes s’est poursuivie. Et en décembre 2016, la sentence est tombée : l’homme a été condamné à un an et quatre mois de prison avec sursis et l’équivalent de 150 000 euros d’amendes. Cette somme s’ajoute aux 5 millions d’euros versés au fisc allemand le mois précédent.

Joint par courriel, Claude Delage, dont la firme IBS est devenue Groupe Capital Alternatif, n’a pas voulu commenter.

Samuel Havida, devenu depuis vice-président de RCGT pour la région de Montréal, a fait suivre notre demande d’entretien à la relationniste de la firme comptable. Essentiellement, la relationniste nous répond par courriel que l’organisation ne fera pas de commentaires.

1. Ce sous-courtier est Fuel Break Capital Partners, qui a été l’entremetteur pour le pourvoyeur de fonds Colbeck Capital Management.

2. Les deux cadres en question sont Feras Antoon et David Tassilo, de Montréal.

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