La vie sauve grâce au profilage génomique

Le programme dont a bénéficié Laurent Tessier est désormais offert à tous les enfants et adolescents atteints du cancer au Québec

Quand les crampes ont soudain commencé à le tenailler, Laurent Tessier a cru qu’il avait avalé trop de crème glacée. « Mais mon ventre gonflait, gonflait, gonflait chaque jour de plus en plus », raconte l’adolescent de Baie-d’Urfé.

« Le vendredi, j’étais un garçon de 9 ans normal. Le dimanche, je ne pouvais pas aller patiner. Les radiographies ont montré qu’une tumeur au foie était en train d’écraser tous mes organes. »

Pendant deux ans et demi, il n’y aurait plus grand-chose de « normal » pour Laurent. Surtout pas ses Noëls – vécus deux années de suite dans une chambre d’hôpital du CHU Sainte-Justine.

La première fois, les médecins lui avaient transplanté un nouveau foie. La seconde, ses traitements de chimiothérapie provoquaient des douleurs implacables que même la morphine ne suffisait pas à apaiser.

« Il souffrait trop pour rester souper une heure avec nous. On a dû le ramener à Sainte-Justine », se souvient sa mère, Hélène Tessier.

De 9 à 12 ans, Laurent a traversé un cortège d’épreuves qui serre le cœur. Sept interventions chirurgicales. Plusieurs séjours aux soins intensifs. Une grave hémorragie interne. Des dizaines de traitements de chimiothérapie…

Le grand garçon aux yeux noirs a donc subi le pire. Mais s’il nous parle cinq ans plus tard, c’est qu’il y a survécu. Car Laurent est le premier et l’un des plus éclatants succès d’un programme d’investigation génomique (de tous les gènes), lancé pour offrir aux jeunes des traitements personnalisés – plus ciblés et efficaces.

À ses balbutiements au CHU Sainte-Justine, en 2012, le programme de recherche en médecine de précision en oncologie pédiatrique (baptisé TRICEPS) était unique au monde, affirme le généticien moléculaire Daniel Sinnett, qui le codirige.

TRICEPS couvre aujourd’hui le Québec en entier et a été copié à travers le Canada, en 2017.

En chiffres

1/400

Un enfant sur 400 apprend qu’il a le cancer avant l’âge de 14 ans

80 %

Taux de survie des enfants atteints de cancer en Occident depuis le milieu des années 1990, contre 15 % dans les années 1960

En l’absence de profilage génomique, environ 20 % des enfants et des adolescents frappés par le cancer meurent. « On parle de jeunes en fin de parcours, pour qui on a tout essayé », dit Daniel Sinnett.

Au Québec, 40 enfants perdaient ainsi la vie chaque année.

Scruter tous leurs gènes – pour identifier les anomalies – permet maintenant d’en réchapper environ un sur trois, en dévoilant in extremis des pistes de traitement insoupçonnées.

« Quand on a trouvé une molécule pour Laurent, il lui restait seulement quelques semaines à vivre. On en a sauvé plusieurs comme lui, en découvrant une option thérapeutique qu’on ne connaissait même pas avant. »

— Daniel Sinnett, généticien moléculaire, codirecteur du programme TRICEPS

Résoudre un mystère

À la manière des fautes de frappe – qui peuvent déformer le sens des mots d’un texte –, les anomalies génétiques font en sorte que le corps ne reçoit pas les bonnes instructions. Ce qui explique souvent pourquoi un patient ne réagit pas à un traitement de la manière escomptée.

Chaque individu a des altérations spécifiques ; des milliards de combinaisons sont possibles. À l’heure actuelle, des dizaines de molécules peuvent corriger certaines mutations chez les enfants. D’autres seront éventuellement découvertes.

Laurent souffrait d’un cancer du foie. Mais c’est un médicament contre le cancer du cerveau qui l’a finalement sauvé. « Des pilules ciblaient exactement sa mutation, mais puisqu’aucun cancer du foie n’avait été traité comme ça dans le monde, l’oncologue a dû mettre une recette au point », expose le professeur Sinnett.

« En neuf mois, toutes les métastases avaient disparu ! se réjouit le généticien. Laurent recommençait à jouer au hockey et au soccer et il passait l’Halloween. »

Dans d’autres cas, le profilage génomique révèle plutôt que le cancer du patient n’était pas celui qu’on croyait ou qu’il était plus grave.

Il y a 15 ans, lire le génome d’un patient n’était pas envisageable. L’exercice, appelé séquençage, coûtait encore une fortune et prenait un temps fou.

Grâce aux séquenceurs à haut débit, incroyablement rapides, on y parvient aujourd’hui en 24 heures, pour environ 1500 $.

Les soignants se fient de plus en plus aux informations obtenues de cette manière, constate Daniel Sinnett. « Au début, nos rapports étaient du chinois pour eux, alors ils se montraient plus frileux. Maintenant, ils décident plus souvent de passer à l’action. »

Laurent Tessier a découvert avec fascination le laboratoire de génomique de Sainte-Justine : « J’adore les sciences ! J’aimerais devenir ingénieur ou inventeur parce que je veux faire plein de choses. »

Il envie par exemple l’équipe qui a conçu les pneus increvables du robot mobile Rover, envoyé sur Mars. « J’adore les défis, me creuser la tête », résume l’adolescent.

Se creuser la tête, c’est exactement ce que Daniel Sinnett et ses collègues ont fait pour lui sauver la vie… et le rendre un peu increvable, lui aussi.

offert à tous les enfants

Tous les enfants et les adolescents du Québec voient désormais leur génome analysé dès leur diagnostic de cancer – sans attendre un éventuel échec des traitements traditionnels ou une rechute.

Environ 180 patients ont profité de cette innovation majeure depuis qu’a été lancé le programme de recherche SIGNATURE, en novembre 2019.

Dérivé du programme TRICEPS, il a permis de découvrir des traitements personnalisés (ou d’affiner le diagnostic) de deux jeunes sur trois – soit 118 d’entre eux. « Ils seront moins abîmés par le traitement s’ils reçoivent les bons traitements au départ », se réjouit le généticien responsable du programme, Daniel Sinnett.

La chimiothérapie a par exemple attaqué les reins de Laurent Tessier. « S’il avait eu son diagnostic aujourd’hui, il aurait pu obtenir le bon médicament dès le jour 1 au lieu de passer à travers trois ou quatre cycles de chimiothérapie inutiles. »

« C’est toutefois beaucoup plus facile d’essayer un traitement non conventionnel quand un patient rechute et n’a plus rien devant lui – comme c’était le cas de Laurent – que de le faire au départ », observe le chercheur.

Pour choisir la thérapie ciblée d’entrée de jeu, dit-il, les soignants doivent complètement changer leur façon de penser.

« Si ça prend trop de temps, on a perdu le patient »

Sept semaines. C’est le temps requis pour découvrir in extremis un traitement inexploré – ou pour affiner un diagnostic – lorsqu’un jeune se trouve sur le point d’être emporté par le cancer. Voici les quatre étapes de cette course contre la montre.

1. Obtenir l'accord du patient

Le patient ou ses parents doivent consentir à l’investigation génétique. « Même si on ne trouve rien, ça facilite au moins leur deuil, constate le généticien moléculaire Daniel Sinnett. Ils savent qu’on a tout essayé en analysant les trois milliards de lettres du génome et en regardant tous les médicaments disponibles à travers le monde. »

Résultat

Près de 99 % des 291 patients (ou familles) pressentis du 14 avril 2014 au 15 septembre 2021 ont accepté que l’investigation soit faite.

2. Prélever et analyser des cellules

Pour obtenir le portrait génétique complet d’un malade, on doit l’opérer ou faire une biopsie afin de prélever de la moelle osseuse ou des tissus, puis analyser le tout. Cela s’avère parfois impossible, ce qui a failli arriver à Laurent. « Ses métastases aux poumons étaient très difficiles à atteindre, explique Daniel Sinnett. On a dû gratter le matériel parce qu’on en avait très peu. On travaillait avec de la fine dentelle. »

Résultat

Un prélèvement a pu être analysé avec succès chez 83 % des jeunes.

3. Trouver des mutations « actionnables »

Le matériel biologique est introduit dans un appareil appelé séquenceur à haut débit, qui analyse l’ADN et ses trois milliards de lettres en un temps record. Des bio-informaticiens utilisent de puissants ordinateurs pour identifier toutes les « fautes de frappe » du génome. Ces anomalies se comptent par milliers chez chaque patient. « Après avoir éliminé toutes celles pour lesquelles il n’existe pas de traitement, on se retrouve avec deux à cinq mutations actionnables », indique Daniel Sinnett.

Résultat

Des mutations génétiques ouvrant de nouvelles avenues thérapeutiques ont été identifiées chez 84 % des jeunes dont les cellules ont pu être analysées.

4. Présenter les résultats à la réunion hebdomadaire d'oncologie clinique

Les experts en profilage moléculaire présentent leurs découvertes aux soignants des quatre centres d’oncologie pédiatrique du Québec. Ils analysent ensemble ces nouvelles informations. Elles les convainquent environ une fois sur trois qu’il faut changer rapidement la thérapie du patient. « C’est le médecin traitant qui a le dernier mot, parce qu’il sait si le patient est en état de tolérer le traitement un non », souligne le professeur Sinnett.

Résultat

Dans le tiers des cas, le médecin préfère garder l’approche alternative comme plan B, si l’état du malade s’aggrave encore.

Dans les autres cas, il faut renoncer à cette avenue, parce qu’il est déjà trop tard pour le patient ou que le médicament dont il aurait besoin demeure inaccessible.

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