Vaccination de masse

Une certaine immunité contre le complotisme, croient des experts

Au moment où la campagne de vaccination de masse contre la COVID-19 s’entame au Québec, les complotistes et les antimasques, eux, sont encore bel et bien présents dans la province. Leur nombre, qui a explosé pendant la deuxième vague, pourrait toutefois diminuer avec le temps, au fur et à mesure que la protection contre le virus « se normalise ».

Malgré tout, un défi demeure : l’hésitation d’une bonne frange de la population à se faire vacciner.

« Je pense que beaucoup de gens vont changer leur vision, en quelque sorte, avec la vaccination. La vie va se normaliser. Ça va tranquillement devenir moins obsédant, cette question de la théorie du complot », explique à La Presse la Dre Cécile Rousseau, responsable de l’équipe clinique Polarisation du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal.

À ses yeux, la perspective d’une société déconfinée et vaccinée donnera une bouffée d’oxygène à bien des Québécois qui ont souffert d’isolement dans la dernière année. « On peut s’imaginer qu’à terme, ça va faire en sorte que les gens sortent un peu de leur isolement, soient moins sur l’internet, consomment moins de contenus de manière compulsive. Tout ça nourrit le complotisme », raisonne la Dre Rousseau.

Plus sollicitée depuis le début de la pandémie, son équipe clinique fournit notamment une évaluation et du soutien aux « prises en étau de la radicalisation », ce qui comprend les théories du complot, mais aussi l’extrémisme idéologique ou encore le suprémacisme blanc.

D’après les analyses de la clinique, les théories du complot liées à la COVID-19 ont surtout pris de la vigueur au tournant de la deuxième vague. « Le printemps dernier, la première réponse de la majorité, ç’a été la peur et la sidération. Tout le monde restait donc chez soi, de façon exceptionnelle. Sauf qu’on ne peut pas rester paniqués des années. La vie doit continuer. Comme beaucoup se sentaient impuissants, le complotisme est venu donner du sens à leur vie. Ils avaient l’impression qu’au moins, maintenant, ils comprenaient », rajoute la docteure.

« C’est un déni du danger, comme pendant une guerre. Quand il y a des bombardements, les gens sont paniqués. Puis, ça se “chronicise”, et la menace est banalisée. Les enfants se mettent même à jouer sur les bombes et les obus. »

— La Dre Cécile Rousseau, psychiatre

Encore beaucoup d’hésitation vaccinale

Il reste que « l’hésitation vaccinale », elle, augmente à l’échelle du pays, convient la Dre Rousseau. Récemment, une étude de l’Université de Sherbrooke concluait que seulement 59 % des Canadiens souhaitent recevoir le vaccin contre la COVID-19.

Les mêmes données avaient été publiées en juin et évaluaient plutôt cette proportion à presque 69 %. « Ces résultats sont inquiétants alors que les scientifiques fixent à environ 70 % le taux de personnes vaccinées à atteindre pour parvenir à l’immunité collective », lisait-on dans le rapport d’étude, codirigé par l’enseignante Marie-Ève Carignan, spécialisée en communication de crise.

« Ces résultats devraient sérieusement inquiéter nos dirigeants. Un plan d’action doit être mis de l’avant pour renverser cette tendance et combattre la peur et la désinformation associées au vaccin. »

— Marie-Ève Carignan, professeure de communication à l’Université de Sherbrooke

Selon elle, vu la « corrélation positive significative entre la propension à adhérer aux idées conspirationnistes et la propension à refuser la vaccination », il y a lieu « de se questionner sur l’impact potentiel des idées conspirationnistes en termes de santé publique » au Québec et au Canada.

Un constat que partage la professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal Roxane Borgès Da Silva. « Tant qu’on n’a pas une immunité assez grande, entre 60 % et 80 % selon les différentes études, la crise risque de perdurer. C’est seulement quand la vaccination atteindra ces cibles qu’on reviendra à la vie normale et que, donc, ces craintes collectives vont tranquillement disparaître », explique-t-elle.

« Dans toutes les crises sanitaires et épidémies que l’humanité a vécues, depuis le XVIIIe siècle, on a vu des conspirationnistes émerger, étant donné la peur et l’incertitude. Maintenant, la question, c’est toujours de savoir s’ils vont s’arrêter. Je ne le sais pas, mais si c’était le cas, il y aura certainement d’autres occasions pour qu’ils se redonnent une voix », conclut Mme Borgès Da Silva.

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